Métrique en Ligne
CAM_1/CAM22
corpus Pamela Puntel
Aimé CAMP
POÉSIES NATIONALES
1871
LE JEUNE SOLDAT BLESSÉ ET PRISONNIER
Ma blessure saigne et se rouvre ; 8
Mon œil s’éteint, mon front pâlit. 8
Un vêtement usé me couvre. 8
La paille pourrie est mon lit. 8
5 Mes gardiens, d’un geste farouche, 8
Me jettent de vils aliments. 8
La fièvre visite ma couche ; 8
L’insomnie a d’affreux tourments. 8
L’horizon est tout blanc de neige ; 8
10 La patrie est bien loin de moi. 8
Ma mère, tu gémis… Que n’ai-je 8
Des ailes pour voler vers toi ! 8
Si tu savais ce que j’endure, 8
Combien mes geôliers sont mauvais, 8
15 Combien mon existence est dure, 8
Ma mère, si tu le savais ! 8
O caresses de la famille, 8
Baisers maternels réchauffants, 8
O a sœur, douce jeune fille, 8
20 Souvenirs de nos jeux d’enfants, 8
C’est vous seuls qu’oppose mon rêve, 8
Visions des cieux dans l’enfer, 8
Au sombre chagrin qui, sans trêve, 8
Se mêle aux horreurs de l’hiver. 8
25 Blessé sur un champ de carnage 8
Où tombèrent tant de soldats, 8
Pourquoi la vigueur de mon âge 8
Me sauva-t-elle du trépas ? 8
J’aurais à Dieu rendu mon âme, 8
30 France, sous tes sacrés drapeaux. 8
Doux bords, que mon amour réclame, 8
Vous m’auriez donné le repos. 8
Dans cette prison inhumaine 8
Où le corps est martyrisé, 8
35 Chaque jour, chaque nuit, amène 8
Sa torture à l’esprit brisé. 8
Quand se battent mes frères d’armes, 8
Succomber lentement ici, 8
Dévorer mes brûlantes larmes 8
40 Devant des bourreaux sans merci ! 8
Ignorer tout ce qui se passe, 8
Là-bas, là-bas, où vit mon cœur ; 8
Interroger l’immense espace, 8
Et n’entendre qu’un vent moqueur ! 8
45 Qui dira ce qu’un captif souffre ? 8
De son désespoir si profond, 8
Et de sa peine, orageux gouffre, 8
Quelle sonde atteindra le fond ? 8
Mon âme aux douleurs se résigne ; 8
50 Car je crois, noble nation, 8
Dont le front porte un divin signe, 8
Je crois à ta rédemption. 8
Oui, ton héroïsme sublime, 8
Et tes sacrifices sanglants 8
55 Te rachèteront de l’abîme, 8
Oteront le fer de tes flancs. 8
Ta gloire dans les maux s’enfante : 8
Qu’il se lève bientôt ce jour, 8
Où, radieuse et triomphante, 8
60 Tu me rouvriras ton séjour ! 8
Libre et grande te voir une heure, 8
Te voir, puis mourir… c’est mon vœu ! 8
Embrasser ma mère, qui pleure, 8
Puis mourir… je bénirai Dieu. 8
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