Métrique en Ligne
CAM_1/CAM19
corpus Pamela Puntel
Aimé CAMP
POÉSIES NATIONALES
1871
LE DEVOIR
AU GÉNÉRAL TROCHU
Justum et tenacem propositi virum.
(HORACE.).
Serrons nos rangs autour de la République
et élevons nos cœurs
(Proclamation du Général TROCHU)..
Aux yeux des matelots que la tempête égare, 12
Doux comme l’espérance, est le nocturne phare 12
Lampe des flots vertigineux ; 8
Sous les vents déchaînés, sous la foudre qui gronde, 12
5 Le navire, à travers l’immensité de l’onde, 12
Vogue le point lumineux. 7
Quand un peuple est en proie à la tourmente sombre, 12
Quand les principes saints ont disparu dans l’ombre 12
Et qu’aucun astre ne luit ; 7
10 Quand sur le gouffre noir croule lame sur lame, 12
Le regard se ranime à voir une grande âme 12
Briller dans l’horreur de la nuit. 8
Général, cette âme est la tienne ; 8
Le patriotisme est ta loi ; 8
15 La vertu stoïque et chrétienne, 8
L’étoile du devoir, c’est toi. 8
Sur les défaillances nombreuses, 8
Et les trahisons ténébreuses, 8
A resplendi ton dévouement. 8
20 Debout, planant sur les naufrages, 8
Tu réveilles tous les courages, 8
Tournés vers ton rayonnement. 8
De ta force héroïque où donc est l’origine ? 12
Ta loyauté si haute où prend-elle racine ? 12
25 Tu crois à l’immortalité. 8
Tu crois que pour les cieux notre vie est féconde, 12
Et que les grandes lois de l’invisible monde 12
Dominent la fatalité. 8
Ton cœur. devant Guilhem, étendu dans la bière, 12
30 Quand tu sentais déjà s’humecter ta paupière, 12
Dans sa beauté se dévoila. 8
Avec quel mâle accent à tes compagnons d’armes 12
Tu disais : « Refoulons les regrets et les larmes 12
Le devoir, l’avenir est là.» 8
35 Le devoir règne sur la terre. 8
De la vie humaine à nos yeux 8
Découvrant le divin mystère, 8
Il nous élève jusqu’aux cieux. 8
Il dirige nos destinées. 8
40 Et les passions mutinées 8
Se cabrent sous son frein sacré, 8
Il dompte l’erreur et le vice. 8
Par lui, de l’ardent sacrifice 8
L’autel dans l’âme est préparé. 8
45 Holocauste où le cœur au feu du ciel s’allume, 12
Où le vil intérêt dans l’amor se consume, 12
Où l’Idéal est notre prix, 8
Où l’homme est un lutteur qui combat pour le Juste, 12
Où le héros mourant por la Patrie auguste 12
50 Entre aux sphères des purs esprits. 8
Voilà ta foi, Trochu. La France te contemple, 12
Et, l’épée à la main, elle suit ton exemple, 12
Richesses, splendide bonheur, 8
Enchantement des arts, tout ce qui la décore, 12
55 Elle le jette au gouffre, y jette plus encore… 12
Tout son sang pour sauver l’honneur. 8
Plutôt que de signer sa honte, 8
Elle subira mille maux : 8
Pas de dangers qu’elle n’affronte, 8
60 Dans ses cités, dans ses hameaux. 8
Mieux vaut le fer dans nos poitrines, 8
Mieux vaut la mort sous les ruines 8
Que l’opprobre d’un front courbé. 8
Un rayon de splendeur morale 8
65 Transfigure un soldat qui râle, 8
Au champ de bataille tombé. 8
Mourons pour la patrie et son indépendance. 12
Ils sont bénis de Dieu ceux que la Providence 12
Moissonne au milieu des combats ; 8
70 Ils retrouvent là-haut ce qu’ils cherchaient sur terre, 12
L’amour, la liberté, que ne voile et n’altère 12
Aucun nuage d’ici-bas. 8
Leur œuvre est achevée ; ils ont rempli leur tâche. 12
Ils lèguent aux vivants des souvenirs sans tache 12
75 Comme la neige des sommets. 8
La gloire leur prodigue une lumière amie ; 12
Leur mérite éclatant rachète l’infâmie 12
Qui se nomme Sedan ou Metz. 8
Paris, qu’enflamme ta parole, 8
80 N’imitera point ces cités. 8
La lutte sans trêve est son rôle ; 8
Tous les cœurs sont surexcités. 8
La magnifique capitale 8
De la destruction fatale 8
85 Attend le moment sans pâlir : 8
Devant l'univers qui l’admire, 8
Dans l’affreux désert de Palmyre 8
Elle est prête à s’ensevelir. 8
Et toi tu tomberais, courageuse victime, 12
90 Comme Kosciusko, jetant ce cri sublime, 12
Et s’enveloppant du drapeau ; 8
Tu tomberais sanglant, héros à l’âme pure, 12
Du drapeau de la France autour de ta blessure 12
Enroulant un sacré lambeau. 8
95 Non, nous ne serons pas la Pologne nouvelle, 12
Le salut est prochain ; le destin se révèle, 12
Nous rouvrant le brillant sentier. 8
La France se prépare à l’épreuve suprême ; 12
Elle triomphera ; Dieu la protège et l’aime ; 12
100 Elle est le cœur du monde entier. 8
Sous les coups de ta main puissante, 8
Sera brisé le fier Teuton. 8
La nation reconnaissante 8
T’acclamera son Washington, 8
105 Guéris par les leçons divines, 8
Dans les immortelles doctrines, 8
Comme toi nous mettons l’espoir. 8
Un jour la France inconsolée, 8
Pleurera sur ton mausolée, 8
110 Vaillant apôtre du devoir ! 8
───────────────────────────────────────────────────────────────────────────── Les prédictions de triomphe exprimées dans cette ode ne se sont pas réalisées. Paris, mourant de faim, a dû se rendre, après avoir résisté près de cinq mois, et s’être signalé par des prodiges de courage et de constance dont l’histoire gardera le souvenir. La défense a été plus glorieuse que l’attaque. C’est ce qu’atteste cette admirable lettre de M. le général Trochu au rédacteur de la Liberté.
Paris, 19 février 1871
Monsieur, Vous me demandez mon sentiment au sujet du bruit qui se répand de plus en plus de l’entrée prochaine de l’armée allemande dans Paris. Je vous le dirai tout entier. Après quatre mois et demi de siège , après huit combats et quatre batailles, dont l’initiative a toujours appartenu à l’assiégé ; après le bombardement, qui a fait tant d’innocentes victimes, après la convention que la famine seule a pu dicter, l’ennemi devait à Paris les honneurs de la guerre, à mois qu’il n’eût aucun souci des traditions et des règles, qui sont, devant l’opinion, les titres de noblesse des vainqueurs et des vaincus. Pour Paris, les honneurs de la guerre, c’étaient le respect de son enceinte et le respect de son deuil. L’ennemi va pénétrer dans Paris, alors qu’il n’a forcé aucun des points de l’enceinte, pris d’assaut aucun des forts détachés, enlevé aucune des lignes extérieures de défense ! S’il en est ainsi, que le gouvernement de la cité lui soit remis, pour qu’il ait seul l’odieux et les responsabilités de cette violence. Que par une muette et solennelle protestation, les portes soient fermées, et qu’il les ouvre par le canon auquel Paris désarmé ne répondra pas. Et laissons à la vérité, à la justice, à l’histoire, le soin de juger. Recevez, etc.
TROCHU. ─────────────────────────────────────────────────────────────────────────────
logo du CRISCO logo de l'université