Métrique en Ligne
BUS_1/BUS8
Alfred BUSQUET
POÉSIES
1884
SUR LES CHEMINS
IMPRESSIONS DE VOYAGE
PORTUGAL-ESPAGNE
VII
LES BERMUDES
— Toi qui, perché sur les Bermudes, 8
Comme un vautour sur un rocher. 8
Dans les tempêtes les plus rudes 8
Veilles au phare, dur nocher. 8
5 Parmi les voiles vagabondes. 8
Alcyons perdus sur les ondes. 8
Fuyant ton rescif déserté. 8
En est-il une par mégarde 8
Qui nous rapporte. Dieu le garde ! 8
10 Ton drapeau, sainte Liberté ! 8
— Hier, durant la nuit la plus noire. 8
Sur le roc, aiguille du glacier. 9
J’étais debout… Le promontoire 8
Flambait aux feux de mon brasier. 8
15 Soudain, voici que dans la brume 8
Le canon tonne, le flot fume. 8
Et je vois, comme dans l’enfer. 8
Des hommes se livrer bataille. 8
Et des nègres de haute taille 8
20 Qu’on précipitait dans la mer. 8
— Vieillard, ta parole est sinistre, 8
Mais je pardonne à ton humeur, 8
Car ta mémoire est le registre 8
Des naufrages et du malheur ; 8
25 Sur ce roc perdu, seul au monde. 8
Dans une obscurité profonde. 8
Loin de tous, tu vis irrité. 8
Mais tu peux, poursuivant ton rêve. 8
Quand ton regard vers Dieu se lève. 8
30 Croire au moins à l’égalité. 8
— L’Égalité, c’est la patrie. 8
C’est la terre, et j’en suis chassé ; 8
Tout mon sang se révolte et crie 8
Contre mon sort et le passé. 8
35 Les flots aussi bien que la terre 8
N’ont pas éclairci le mystère 8
Qu’on n’approfondira jamais : 8
Abaissez, du haut des Bermudes, 8
Vos regards sur les latitudes, 8
40 Que voyez-vous ? Des mâts anglais ! 8
— Je te plains.
— Cesse de me plaindre,
Garde ton ingrate pitié. 8
Moi, je vous hais tous, sans vous craindre. 8
Car je vous ai tous sous mon pié ; 8
45 Esclave de la destinée. 8
Ma vie au roc est enchaînée. 8
Je suis libre et captif… Je puis 8
Faire un soleil avec mon phare 8
Ou de ces flots faire un Tartare 8
50 Plus noir que les plus noires nuits. 8
Vous qui hantez les solitudes. 8
Marins sur la mer égarés. 8
Fuyez la côte et les Bermudes, 8
Et ces rocs, tigres effarés. 8
55 De moi n’espérez aucune aide. 8
N’attendez pas que j’intercède 8
Pour vous disputer au trépas. 8
Vos sanglots sont mes chants de fête. 8
Je pourrais calmer la tempête 8
60 Que certes, je ne voudrais pas ! 8
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