Métrique en Ligne
BUS_1/BUS59
Alfred BUSQUET
POÉSIES
1884
TRISTESSES ET JOIES
LE ROSSIGNOL PRISONNIER
A l’heure où le bourgeois docile 8
Dans ses foyers rentre à pas lents, 8
A l’heure où les sergens de ville 8
Guettent les voleurs indolents, 8
5 Où promenant ses rêveries 8
A travers la grande cité. 8
Le poète en rimes fleuries 8
Dilate son cœur agité. 8
Je m’en vais songeur triste et sombre 8
10 Là-bas, dans un vilain quartier, 8
Pour écouter perdu dans l’ombre 8
La voix d’un oiseau prisonnier. 8
C’est un rossignol dans sa cage. 8
Son maître lui creva les yeux. 8
15 Pour qu’il charmât le voisinage 8
Et pour qu’il égayât les deux. 8
Longtemps se tut la voix ailée, 8
Mais toute douleur a sa fin ; 8
Il eût pu prendre sa volée, 8
20 Mais il faut bien gagner son pain. 8
Repoussant la mort et ses voiles. 8
Il fit le jour dans son tombeau. 8
Ralluma toutes les étoiles ; 8
— Le chanteur chanta : c’est son lot ! 8
25 Quand viennent les premières brises 8
Du gai printemps et des beaux jours, 8
il croit aux feuilles, aux cerises. 8
Mais il ne croit plus aux amours. 8
Il croit aux haines éternelles. 8
30 Au noir chagrin, aux lois du fort ; 8
Il croit parfois qu’il a des ailes, 8
Mais il croit surtout à la mort ! 8
O rossignol ! comme moi-même 8
Captif, toi l’enfant des bois verts. 8
35 Le triste chanteur, que Ton aime 8
Pour ta voix et pour tes concerts, 8
Tu jettes au vent qui l’entraîne 8
Ta plainte unie à tes chansons, 8
Pauvre oiseau dont la cantilène 8
40 Devrait égayer les buissons ! 8
Comme les moineaux indociles 8
Si tu n’avais jamais chanté, 8
Tu ne connaîtrais pas nos villes. 8
Le malheur, la captivité ! 8
45 Imbécile ! ton chant sublime 8
T’a perdu seul ; imite-moi : 8
Toute poésie est un crime. 8
Doux prisonnier, meurs ou tais-toi ! 8
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