Métrique en Ligne
BRS_1/BRS60
Henri BARBUSSE
Les Pleureuses
1895
LE SILENCE DES PAUVRES
L'ABSENT
Tu deviens la vie incertaine…
Toi dont le grand cœur fut le nôtre, 8
Plein de douceur et de secours ! 8
Tu partis, le soir, comme un autre. 8
Il me semble que c'est toujours !… 8
5 Nous, dont les rêves se hasardent, 8
Nous vivons ton sublime adieu, 8
Et nous yeux s'ouvrent et regardent 8
Le départ qui t'a fait vrai dieu. 8
Et depuis, ta fête invincible 8
10 Nous rend inutiles et las… 8
Que fais-tu, toujours impassible 8
Dans la gloire d'être là-bas ! 8
Tu nous domines de silence, 8
Tu nous hantes d'éternité… 8
15 Dans quelle effroyable distance 8
Vas-tu, plein d'immobilité ! 8
Nous avons beau, nous les victimes, 8
Aimer et rire à nos amours, 8
Sur la lampe et les fronts intimes 8
20 L'éloignement veille toujours ! 8
Dans le salon aux nuits splendides, 8
Le froid nous glace les genoux, 8
Les grands murs sont noirs et placides. 8
Tu ne dis rien, bien loin de nous… 8
25 Quand l'heure approche où tout sommeille, 8
Quand le foyer tiède est berceur, 8
Nous forçons, forçons notre veille, 8
Épouvantés par ta douceur ! 8
Quand tout repose dans les villes, 8
30 Dressés comme sous une loi, 8
Nous sentons à nos doigts fébriles 8
La fenêtre s'ouvrir à toi ! 8
Sacrés, somptueux, en silence, 8
Nous voyons naître en la cité 8
35 Ce frisson de magnificence 8
Dont tressaille la vérité… 8
Et poursuivis par ton absence, 8
En quête de paix sans espoir, 8
Parmi l'heure qui nous encense, 8
40 Descendons aux jardins du soir… 8
Là, jusqu'au ciel bleuâtre et sombre, 8
La vie est grande comme un roi. 8
Les troncs resplendissent dans l'ombre, 8
La gloire qui passe, c'est toi ! 8
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