Métrique en Ligne
BRS_1/BRS40
Henri BARBUSSE
Les Pleureuses
1895
LA LAMPE
BONTÉ D'HIER
Le peu de bonheur qu'on n'a plus.
Ô ma lampe tout près, sans rêve, reposée, 12
Si j'allais oublier l'heure qui t'a posée ; 12
Si j'allais oublier, feu pauvre, dieu rampant, 12
L'humble miracle intime, et l'amour qui s'épand ! 12
5 Je ne fais rien, ce soir, la vue indifférente, 12
Pourtant, levant les yeux dans la bonté mourante, 12
Je vois distinctement l'avenir sans foyer. 12
Délire, vieux soleil, si j'allais oublier !… 12
Le passé, seul sanglot, vraie et grande chimère 12
10 Que la nuit me garda dans un besoin de mère, 12
Et ce rayon qui donne avec maternité… 12
Tous les soirs d'autrefois me font la charité. 12
Demain n'est rien, ce soir, qu'azurs insatiables. 12
Mais le vieux ciel descend dans les coins pitoyables. 12
15 Le passé vient ici… Sur tous les nouveaux jours, 12
Le vieux silence épand sa bonté de toujours, 12
Et je pense à ma voix contre la paix immense 12
Et ce qu'un faux serment fait mal à ce silence, 12
Mais je veille d'orgueil au lieu de m'endormir. 12
20 Douce nuit jusqu'à moi, qui ne peut pas finir ! 12
Quoi que je rêve un jour, quoi que je veuille encore, 12
Que toujours le passé me pardonne et m'adore, 12
Et si je fais jamais quelque chose de grand, 12
Pauvres cœurs en allés, que ce soit en pleurant ! 12
25 Que toujours, mes amis, je sois ce que nous sommes. 12
Je suis pauvre, je suis plus pauvre que les hommes. 12
Pourtant je perds mon temps, je me perds, je suis las, 12
Et quoiqu'on m'aime encor, je ne travaille pas… 12
Au lieu de bien sourire à l'ombre jamais lasse, 12
30 Et d'être ma douceur au seuil de tout l'espace, 12
J'aime mieux lâchement guetter, distrait et fier, 12
Quelque impossible amour ne venant pas d'hier ! 12
J'hésite, dans ce doute à pleurer ce qui pleure, 12
Et je sens tout d'un coup très vieille ma demeure. 12
35 Que je suis indécis, adoré, qu'il est tard, 12
Et que j'ai des parents très pauvres quelque part… 12
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