Métrique en Ligne
BRS_1/BRS31
Henri BARBUSSE
Les Pleureuses
1895
LA LAMPE
L'OUVRIÈRE
La vie imparfaite.
Ta blanche lampe t'illumine, 8
Quand frileuse, ayant peur du bruit, 8
Tu travailles tard dans la nuit 8
À quelque tâche un peu divine. 8
5 Déjà ton labeur est moins sûr… 8
Tu lèves les yeux, comme un crime, 8
Tu vois venir la paix sublime, 8
Et la charité de l'azur. 8
Humble devant ta destinée 8
10 Tu sombres doucement en tout… 8
Le sommeil a surpris ton cou, 8
Tu te redresses, étonnée… 8
Pauvre enfant qui n'a pas régné, 8
Pauvre femme, pauvre princesse… 8
15 Voici qu'en ce soir de caresse 8
Ton cœur trop paisible a saigné. 8
Et nul n'est là pour te sourire, 8
Et doucement, tu te souris. 8
L'ombre a des rideaux attendris… 8
20 Tu t'étonnes d'être martyre. 8
Et la misère de tes mains 8
S'entr'ouvre ; la lampe t'embrase, 8
De tes regards voilés d'extase 8
Tu sens couler des pleurs humains… 8
25 Sous le rayonnement suprême, 8
L'ouvrage s'affaisse et s'endort, 8
Et pleine de paresse d'or 8
Tu t'émerveilles de toi-même. 8
C'est le bonheur très bon, sans fin, 8
30 La bénédiction sans cause, 8
En la pauvre âme pauvre éclose 8
Pour qui la fatigue est du pain. 8
La nuit est indistincte et sage, 8
Elle chante à mi-voix le jour, 8
35 L'ombre est pleine d'un grand amour 8
Comme une chose qu'on partage. 8
Faible en même temps et vainqueur, 8
Tu recueilles le grand silence, 8
La bonne et douce récompense 8
40 Qui te caresse jusqu'au cœur. 8
La lumière pauvre et profonde 8
T'enveloppe d'enchantement, 8
Tu souris, tu crois vaguement 8
Sentir la justice du monde. 8
45 Béni, celui qui vit ses yeux 8
Éblouis par un bon mystère, 8
Bénis, ceux qui trouvent sur terre 8
Le vague salut d'être heureux !… 8
Tendrement, tu luttes encore 8
50 Et comme une grâce des cieux, 8
Le sommeil exauce tes yeux 8
Et le front penché qui l'adore. 8
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