Métrique en Ligne
BRS_1/BRS16
Henri BARBUSSE
Les Pleureuses
1895
LE SOIR EN FÊTE
L'OBÉISSANTE
Viens avec tes petits pieds…
Ô ma reine d'obéissance, 8
Docile aux heures d'alentour, 8
Ton âme est comme le silence 8
Et ta robe est comme le jour. 8
5 Dans le vague où tu t'étioles 8
Ta tête est douce sur ton cou, 8
Ton âme est l'accueil des paroles, 8
Ta grâce est le pardon de tout… 8
Fantôme de pauvre lumière 8
10 Auprès du vitrail attristé, 8
Tes épaules sont la prière, 8
Tes mains sont la simplicité. 8
Et lorsque la fenêtre blême 8
Laisse entrer le soir soucieux, 8
15 Tu n'es que la bonté qui m'aime 8
Et que l'étoile de tes yeux !… 8
Un soir aux visions pieuses, 8
Mon âne entrant dans un baiser, 8
Entre tes lèvres paresseuses 8
20 Je parlerai pour m'amuser… 8
Je serai ta main qui se donne, 8
Tes épaules et ton front clair. 8
Je serai la voix qui chantonne 8
La chanson pure de ta chair. 8
25 De tout mon amour qui flamboie 8
Émerveillant l'œil qui s'endort, 8
Je verrai mon regard de joie 8
Couronné par tes cheveux d'or. 8
Ou bien par un soir en détresse, 8
30 Morne, penché vers ton émoi, 8
Dans tes paupières de caresse 8
J'aurai le vertige de moi. 8
Et quand, au couchant écarlate, 8
Nous frémirons d'un seul frisson, 8
35 Un jour, ta bouche délicate 8
Dira doucement ma chanson. 8
Dans le soir comme en une église 8
Tu rêveras le long passé, 8
Tu rêveras la chambre grise 8
40 Et ce que le jour a laissé… 8
Alors dans l'angoisse sacrée, 8
Ombre captive au soupirail, 8
Sur la vitre décolorée, 8
Tu mettras ton front sans travail. 8
45 Quand toute âme se dissimule, 8
Quand tout meurt à la mi-clarté, 8
Lorsque l'immense crépuscule 8
T'habille avec sa pauvreté… 8
Puis levant ta tête indécise, 8
50 L'œil morne, au grand vitrail amer 8
Tu rêveras la paix exquise, 8
Et l'immensité de la mer ! 8
Ta voix sera lente et peureuse 8
Des vieux jours que rien ne défend, 8
55 Alors tu seras malheureuse, 8
Ô ma princesse, ô mon enfant. 8
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