Métrique en Ligne
BRS_1/BRS1
Henri BARBUSSE
Les Pleureuses
1895
LA PLEUREUSE
Oh bien des fois, au gré du rêve où tu te penches, 12
Tu vis le hameau calme avec ses maisons blanches, 12
Et la paix de l'azur a fait pleurer ta paix. 12
Et bien des fois, la nuit, lorsque tu regardais, 12
5 J'ai senti ta douleur monter jusqu'aux étoiles, 12
Et te vis épier dans l'ombre aux ombres pâles 12
Cet immense malheur qu'on ne peut pas savoir… 12
Lorsque nous regardons monter la mer du soir, 12
Ainsi que deux faux dieux sur les mornes rivages, 12
10 Nous voyons devant nous passer de grands veuvages 12
Et c'est ton désespoir qui souffre avec douceur. 12
Désert de ton frisson, pauvreté de ton cœur ! 12
Et tu vas inquiète, et très calme et très seule, 12
Ô si jeune âme avec des mains comme une aïeule, 12
15 Toi qui, pauvre rêveuse, avais aux temps lointains 12
Dans les nuits de bonheur des songes enfantins, 12
Qui, bercée à la voix d'aurore qui se lève 12
Et souriante encor d'une écharpe de rêve, 12
Dans le ciel du matin n'as trouvé que l'azur ! 12
20 Si le dieu de cœur simple est le seul dieu très pur, 12
Pleure la grande vie et tout ce que vous faites, 12
Ô vous qui souriez, ô ceux que tu rachètes 12
Quand lasse, dans les champs d'étés et de sommeil, 12
Tu sens se dévaster la pitié du soleil ! 12
25 Et je te dis souvent que nous sommes sublimes 12
Et qu'il est un mystère, et que nous l'entendîmes ; 12
Et je te dis cela quand nous nous effleurons, 12
Quand le demi-sommeil laisse errer nos deux fronts 12
Et que la lampe est douce au fond de l'âme close… 12
30 Et sans me regarder, tu pleures d'autre chose. 12
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