Métrique en Ligne
BRN_1/BRN1
corpus Pamela Puntel
Henri de BORNIER
POÉSIES
1870
CHATEAUDUN
DIT PAR M. COQUELIN
I
Elle a voulu mourir ! Dans la grande détresse, 12
Parmi nos pleurs, parmi ces deuils que nous menons, 12
Rien ne la défendait, ni tours, ni forteresse, 12
Ni mitrailleuses, ni canons ; 8
5 Vivre, elle le pouvait sans honte et sans reproche ; 12
Sa rançon, au vainqueur elle pouvait l'offrir ; 12
De plus forts ont cédé lorsque l'orage approche ; 12
Mais non : elle a voulu mourir ! 8
Pour sauver ses coteaux tout murmurants d'abeilles , 12
10 Ses pommiers rougissants sur les flots verts du Loir, 12
Ses modestes trésors, ses vignes et ses treilles, 12
Elle n'avait qu'à le vouloir ! 8
Elle a voulu mourir, l'humble ville stoïque ! 12
Son sol se refusait aux pas de l'étranger ; 12
15 Elle avait pour vertu sa démence héroïque, 12
Voyant l'affront, non le danger. 8
Elle est morte ! L'obus, la mitraille, la bombe 12
Ont fauché ses maisons ainsi que des blés mûrs, 12
Mais du moins l'ennemi, s'il en fit une tombe, 12
20 N'a pas humilié ses murs ! 8
II
Ah ! juste ciel ! après nos fautes, nos délires, 12
Nos fièvres de jadis et notre orgueil jaloux, 12
Embrassons les pieds froids de ces cités martyres, 12
Car elles ont payé pour nous ! 8
25 O Paris ! Souviens-toi des vingt ans de démence 12
Où tu disais : « Je suis le temple universel, 12
« La ville où tout finit, la ville où tout commence, 12
« Malgré Dieu j'ai refait Babel ! 8
« Le monde m'appartient puisqu'à moi vient le monde, 12
30 « Mon caprice est sa loi, mes ordres sont ses vœux ; 12
« J'offre à tous et le noble et le pur et l'immonde, 12
« Et tout est bien, car je le veux ! » 8
Hélas ! en étalant ta splendeur imprudente, 12
Tu ne te doutais pas, confiant et vainqueur ; 12
35 Que déjà s'allumait la jalousie ardente 12
Et la haine dans plus d'un cœur ; 8
Tu ne te doutais pas qu'une main lente et sûre, 12
Habile aux trahisons, perfide sans remord, 12
Sous tes fausses grandeurs sondait mieux ta blessure 12
40 Et déjà méditait ta mort ! 8
Mais Paris ne meurt pas ! Trompant leur espérance, 12
Te voilà devant eux plus terrible et plus beau ; 12
Ils pensent déchirer la robe de la France 12
Jour à jour, lambeau par lambeau. 8
45 Mais tu sais racheter ton ancienne faiblesse, 12
Tu te plains de ne pas encore assez souffrir, 12
Tandis qu'autour de toi le lâche destin laisse 12
Tant de nobles villes mourir ! 8
Tu sauras les venger ! Tout affront se répare ; 12
50 Tu sortiras bientôt de l'ombre triomphant, 12
Et l'on verra soudain le joug qu'on te prépare 12
Brisé comme un jouet d'enfant ! 8
En attendant, pleurons sur nos martyrs sublimes, 12
Sur ces héros tombés pour la gloire de tous, 12
55 Invoquons, invoquons l'âme de ces victimes, 12
Afin qu'elle revive en nous ! 8
Vénérons à jamais leur tombeau comme un temple, 12
Qu'ils entendent nos voix pieuses les bénir ; 12
Donnons à l'avenir leurs vertus en exemple ; 12
60 Au présent comme à l'avenir ! 8
Adoptons celte ville autrefois si prospère, 12
Adoptons, empressés à ce commun devoir, 12
Ces vieillards sans enfants et ces enfants sans père, 12
Ces veuves au fier désespoir ; 8
65 De leur malheur afin qu'on puisse nous absoudre, 12
Donnons à pleines mains ce qui nous reste d'or, 12
Et relevons du moins ceux qu'a frappés la foudre, 12
Nous que la foudre épargne encor ! 8
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