Métrique en Ligne
BRJ_1/BRJ91
corpus Pamela Puntel
Jules BARBIER
LE FRANC-TIREUR
1871
LE FRANC-TIREUR
XCI
SERMENT
Un dernier mot ! — Ce roi Guillaume, 8
Que nos haines et nos mépris 8
Croyaient déjà dans son royaume, 8
Commence à bombarder Paris ! 8
5 Ses obus, qui faisaient sourire, 8
Ses canons, par nous bafoués, 8
Remplissent la cité martyre 8
De femmes et d'enfants tués ! 8
Bourbaki fait campagne en France, 8
10 Et laisse le Rhin indompté. — 8
Il importe peu !… L'espérance 8
Deviendra la réalité. 8
Le châtiment aura son heure, 8
Et nous verrons fuir ce maudit, 8
15 Qui boit, qui bombarde et qui pleure, 8
Plus vite encor que je n'ai dit. 8
Si le destin, par impossible, 8
Lui livrait Paris aujourd'hui, 8
Demain, ce Cartouche invincible 8
20 Aurait la France devant lui ! 8
Si la France même succombe, 8
Qu'importe que, frappés au front, 8
Tous les pères soient dans la tombe 8
Leurs fils, un jour, les vengeront ! 8
25 Cela sera ! — Maintenant tue, 8
Pille, bombarde, prostitue, 8
Brûle, dévaste, règne enfin ! 8
Enveloppé de funérailles, 8
Donne des banquets à Versailles, 8
30 Tandis que Paris meurt de faim ! 8
Que par les soupiraux des caves 8
Tes soldats fusillent nos braves ; 8
Qu'ils exterminent nos blessés ; 8
Que tes Gretchen, qu'on croit niaises, 8
35 A déshonorer nos Françaises 8
Encouragent leurs fiancés ! 8
Ce que j'écris est de l'histoire. — 8
Tu mets ainsi, je veux t'en croire, 8
Un frein aux appétits brutaux !… 8
40 Surtout, mon prince, je t'en prie, 8
Ordonne à ton artillerie 8
De tirer sur les hôpitaux ! 8
Le monde égaré te regarde, 8
Sans qu'un seul peuple se hasarde 8
45 A surgir entre nous et toi ; 8
C'est bien ! poursuis ton œuvre a l'aise 8
Sais-tu bien qu'un Quatre-vingt-treize 8
A ce labeur vaut moins qu'un roi ? 8
Courage donc ! et moralise. 8
50 Prêche, convertis, civilise 8
Par le plomb, le fer et le feu ; 8
Puis, selon ta sainte habitude, 8
Au temple, avec la multitude, 8
Agenouille-toi devant Dieu ! 8
55 Ah ! ce Dieu que ta lèvre prie 8
De bénir cette boucherie, 8
Depuis l'heure où le sang coula, 8
Ce Dieu que tu nommes ton maître 8
Tu ne crois pas en lui peut-être ?… 8
60 Prends garde, Guillaume, il est là ! 8
─────────
J'ai tout dit : je ferme ce livre. — 8
Vers enfantés dans la douleur, 8
Vous dont la fièvre m'a fait vivre, 8
Adieu, compagnons du malheur ! 8
65 J'ignore où le destin vous mène, 8
Mais votre cri dans l'âme humaine 8
Aura son retentissement, 8
Et, partout où la haine vibre, 8
Les voix, les cœurs d'un peuple libre 8
70 Répondront à votre serment ! 8
Oui, tous, à l'heure solennelle 8
De la défaite ou du succès, 8
Jurons une haine éternelle 8
Aux bourreaux du peuple français ! 8
75 Que rien n'en détruise le germe, 8
Qu'en son cœur la France l'enferme, 8
Que le champ la conte au buisson ; 8
Sur la terre de sang fumée, 8
Leurs mains barbares l'ont semée, 8
80 Qu'ils en récoltent la moisson ! 8
Que pas un d'eux, après la guerre, 8
Ne retrouve sur son chemin 8
Un seuil ami, comme naguère, 8
Une main pour serrer sa main ! 8
85 L'hospitalité déshonore 8
Celui qui les pourrait encore 8
Garder en ses foyers trahis ; 8
Et celle-là serait infame 8
Qui jamais deviendrait la femme 8
90 D'un assassin de son pays ! 8
Plus d'espions dans nos familles ! 8
Plus de voleurs dans nos maisons ! 8
Serviteurs mielleux, blondes filles, 8
Portez ailleurs vos trahisons ! 8
95 Que d'un mâle patriotisme 8
La haine soit le catéchisme ! 8
Que la grand'mère, à son rouet, 8
De haine imprègne sa parole, 8
Et que les enfants à l'école 8
100 L'épèlent dans leur alphabet ! — 8
Toi, mon fils, dont l'âme étonnée 8
Frémit de rage et non d'effroi, 8
Mûris ta dix-septième année, 8
Déjà plus grave, et souviens-toi ! 8
105 Soit que je vive ou que je meure. 8
Garde jusqu'à ta dernière heure 8
Cette haine du nom Prussien ! 8
Il faudra les tuer en somme !… 8
Sache avant tout tenir en homme 8
110 Un fusil !… — Tu le sais ?… c'est bien ! 8
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