Métrique en Ligne
BRJ_1/BRJ81
corpus Pamela Puntel
Jules BARBIER
LE FRANC-TIREUR
1871
LE FRANC-TIREUR
LXXXII
LES CHÂTIMENTS
Au spectacle imposant des Alpes grandioses 12
Que la neige couronne ou de lys ou de roses. 12
Dans un riant émoi, 6
Des rives de Lucerne aux pentes du Salève, 12
5 Emportant notre amour, emportant notre rêve, 12
Nous allions, elle et moi. 6
L'esprit n'abdique pas, même où le cœur est maître. 12
Une œuvre de génie alors venait de naître ; 12
De ses rayonnements 6
10 Elle éclairait l'exil, elle embrasait l'empire ! 12
Enivré de la muse, enivré du sourire, 12
Je lus les Châtiments. 6
O livre qui vengeas la conscience humaine, 12
Qui du juste et du vrai reconquis le domaine. 12
15 Verbe réparateur ! 6
Quand ton aile de flamme eut effleuré ma tête, 12
Tu sais si j'oubliai pour l’œuvre du poète 12
L’œuvre du créateur ! 6
C'est qu'en toi s'incarna l'honneur de la patrie 12
20 C'est que, pour réveiller une race flétrie, 12
Tu devanças le temps ; 6
C'est que tu fus aussi le cri de l'espérance, 12
L'arrêt d'une justice à venir… et la France 12
En a vécu vingt ans ! — 6
25 Elle, pourtant, les yeux attirés par les cîmes, 12
Contemplait en rêvant ces merveilles sublimes, 12
Le Righi, la Yung-Frau, 6
Et, jalouse d'avoir les muses pour compagnes, 12
Me disait doucement : « Regarde ces montagnes ! » — 12
30 Je regardais plus haut ! 6
Je regardais plus haut que la terre où nous sommes, 12
Plus haut que les sommets qui dominent les hommes, 12
Montagne ou royauté ; 6
Plus haut !… vers ce foyer de lumière infinie 12
35 Où, de sa voix divine inspirant le génie, 12
Plane la vérité ! 6
O jours évanouis ! ô rapide voyage, 12
Dont je revois encor passer la douce image 12
En mon esprit songeur ; 6
40 Où mon cœur fut heureux, où ma foi fut armée, 12
Où j'eus pour compagnons la femme bien-aimée 12
Et le livre vengeur !… 6
Le livre et l'homme étaient proscrits : l'empire tombe ; 12
Le livre servira d'épitaphe à sa tombe, 12
45 b'ans le calomnier ; 6
L'homme, — ce grand exemple encourage et console, 12
Spectre des faux serments, a tenu sa parole, 12
Et rentre le dernier ! 6
Les voilà donc tous deux ! il est une justice !… 12
50 Résonne librement, que ta voix retentisse. 12
Lyre aux cordes d'airain ! 6
Tes chants de désespoir deviennent chants de fête ! 12
Tes arrêts, accomplis comme ceux du prophète, 12
Traverseront le Rhin ! 6
55 César les entendra, dans sa stupeur profonde. 12
Non plus comme un écho parti du sein de l'onde, 12
Porté par les hasards, 6
Mais comme la clameur, sourde, immense, croissante, 12
Que pousse un peuple entier, cette mer rugissante 12
60 Où sombrent les Césars ! 6
Viens, ô livre imprégné de toutes les vaillances ! 12
Viens, et reproche-moi mes propres défaillances, 12
Quand, docile à mon sort, 6
Sur le fait accompli j'endormais mon courage, 12
65 Et, de la liberté contemplant le naufrage, 12
Me reposais au port ! 6
Ah ! je ne savais pas, lorsque ma jeune lyre 12
Du poète divin obtenait un sourire, 12
Que par lui ranimé, 6
70 L'homme un jour l'aimerait pour ses haines amères, 12
Comme, pour ses chansons, où bat le cœur des mères, 12
L'enfant l'avait aimé ! 6
Le rayon qui descend du ciel n'a pas mémoire 12
Du brin d'herbe sur qui, du milieu de sa gloire, 12
75 Un moment il a lui ! 6
Mais, dans la solitude et l'ombre, le brin d'herbe 12
Se souvient fièrement de ce rayon superbe 12
Qui se posa sur lui ! 6
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