Métrique en Ligne
BRJ_1/BRJ75
corpus Pamela Puntel
Jules BARBIER
LE FRANC-TIREUR
1871
LE FRANC-TIREUR
LXXV
LANGLE
Je ne l'ai pas connu ; mais un instinct secret 12
Arrête sur ce nom mon vers et ma pensée ; 12
Je devine, au contact de cette main glacée, 12
Que je l'aurais aimé ; je crois qu'il m'aimerait. 12
5 L'avenir souriait à ses jeunes années ; 12
Entraîné par l'ardeur de ses premiers travaux, 12
Son regard embrassait les horizons nouveaux 12
Où la France eût bientôt conduit ses destinées. 12
L'écrivain, le savant fit place à l'officier, 12
10 La toque du docteur au képi du mobile ; 12
Était-ce un devoir ? non ; son corps était débile ; 12
Mais il en fit un droit ; son âme était d'acier. 12
Ses compagnons, parfois, l'ont vu trembler la fièvre. 12
Nature délicate et frêle, sa pâleur 12
15 Témoignait seulement d'une intense douleur, 12
Sans qu'un gémissement s'échappât de sa lèvre. 12
Conterai-je un détail vulgaire ?… Le canon 12
Mitraillait nos soldats. Calme, on le vit sourire, 12
Offrir à son voisin un cigare, et lui dire, 12
20 En allumant le sien : « L'achèverai-je ?… » – Non ! 12
Un obus à ses pieds apporta la réplique ; 12
Les éclats dispersés déchirèrent ses flancs ; 12
Le sol se déroba sous ses pas chancelants ; 12
Il mourut en criant : « Vive la République ! » 12
25 Ainsi son dernier cri témoigna de sa foi. 12
Pour briser cette noble et pure intelligence, 12
Pour étouffer sa flamme, il suffit, — ô vengeance ! — 12
D'un obus idiot au service d'un Roi !… 12
Et vers vous ma pensée inquiète s'envole, 12
30 O mes amis, honneur des lettres et des arts ! 12
Vous qu'un destin aveugle, en ses tristes hasards, 12
Peut frapper d'un boulet ou d'une balle folle ! 12
O culte de la force, où la raison périt ! 12
Un Prussien, (autant dire une bête de somme), 12
35 Tûra l’œuvre ébauchée en assassinant l'homme ; 12
La matière stupide écrasera l'esprit ! 12
Dieu juste ! Dieu clément ! détourne un tel présage ! 12
Pour mes amis vivants cet héroïque effort 12
Me fait peur dans l'ami que me donne la mort ; 12
40 Et, malgré moi, des pleurs inondent mon visage ! 12
Oui, tour à tour des pleurs d'angoisse ou de fureur ! 12
Je contemple ce roi, grotesque, épouvantable. 12
Et je pense qu'on va ramasser sous la table 12
Cet ivrogne dévôt pour faire un empereur ! 12
45 Vers toi, pauvre martyr, revient alors mon âme, 12
Et, pareil à l'avare amoureux de son or, 12
Je songe à ce qu'il faut sacrifier encor 12
De héros comme toi pour écraser l'infâme ! 12
Le crime, tôt ou tard, atteindra son auteur ! 12
50 S'il échappe à nos coups, c'est que Dieu, qu'il blasphême, 12
Dans le sombre avenir, se réserve à lui-même' 12
Le droit d'exterminer cet exterminateur ! 12
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