Métrique en Ligne
BRJ_1/BRJ62
corpus Pamela Puntel
Jules BARBIER
LE FRANC-TIREUR
1871
LE FRANC-TIREUR
LXII
LA NEIGE
La neige, par le vent poussée, 8
Tombe du ciel voilé de deuil, 8
Et couvre la terre glacée 8
D'un funèbre et vaste linceul ! 8
5 Quelle tâche effrayante et sombre 8
Cette nuit va-t elle accomplir ? 8
Pauvres morts, la neige, dans l'ombre, 8
Vient-elle vous ensevelir ? 8
Ah ! nos soldats luttent encore ! 8
10 L'impitoyable Mort les suit ! 8
Et chaque jour qui vient d'éclore 8
Prépare sa tâche à la nuit ! 8
J'entrevois, comme dans un rêve, 8
Sous un suaire encor sanglant, 8
15 Ces plaines où parfois s'élève 8
Un léger monticule blanc ! 8
Ce sont les morts que ces batailles 8
Jettent en pâture aux canons ! 8
Le ciel leur fait des funérailles, 8
20 Et le vent murmure leurs noms ! 8
Ils ne souffrent plus ; ils sommeillent 8
Mais ceux qui pour la même foi 8
Souffrent encore, ceux qui veillent, 8
O France, et combattent pour toi ?… 8
25 Oh ! ces longues nuits, cette neige. 8
Ce sol détrempé par les eaux, 8
Ce froid dont rien ne les protège, 8
Et qui les glace jusqu'aux os ! 8
Torture lente, opiniâtre, 8
30 Où le plus courageux faiblit !… 8
Y songez-vous, auprès de l'âtre, 8
Dans la chaleur de votre lit ? 8
Vous qui n'aurez de la victoire 8
Que les fruits glorieux et doux, 8
35 Qui, loin des rives de la Loire, 8
Vivez en paix… y songez-vous ?… 8
Ah ! songez à l'âpre souffrance 8
De ce» corps à peine couverts ; 8
Que ceux qui défendent la France 8
40 Soient au moins sauvés des hivers ! 8
Songez à ces nuits de décembre, 8
Aux frissonnements du matin. 8
Quand le froid raidit chaque membre. 8
Quand gronde le canon lointain ! 8
45 N'attendez pas, pitiés stériles, 8
De lamentables lendemains ; 8
Regardez soldats et mobiles, 8
Et l'or va fondre dans vos mains ! 8
Si vous espérez dans leurs armes. 8
50 Qu'en vous ils puissent espérer ; 8
Suffit-il de verser des larmes. 8
Quand c'est de l'or qu'il faut pleurer ? 8
Hélas ! c'est assez des blessures, 8
Sans le froid qui glace les cœurs ; 8
55 Préservez-les de ses morsures, 8
Si vous voulez qu'ils soient vainqueurs ! 8
Couvrez, car cette heure est suprême 8
Leur misère et leur nudité 8
Du manteau béni par Dieu même, 8
60 Celui de la fraternité ! 8
En sanglots que vos cœurs éclatent ! 8
Donnez toujours ; donnez encor ; 8
C'est avec le fer qu'ils combattent ; 8
Vous devez combattre avec l'or !… 8
65 Oh ! l'épouvantable pensée, 8
Quand un spectre livide et bleu 8
De sa main encore gercée, 8
Vous accusera devant Dieu ! 8
J'entends sa parole fatale ; 8
70 C'est vous qu'il désigne du doigt : 8
Dieu dit : Es-tu mort d'une balle ? — 8
Il répond : Je suis mort de froid ! 8
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