Métrique en Ligne
BRJ_1/BRJ41
corpus Pamela Puntel
Jules BARBIER
LE FRANC-TIREUR
1871
LE FRANC-TIREUR
XLI
RÊVE DE JEUNE FILLE
A ma chère Jeanne
Père, devine à quoi je rêve ?… 8
Je me figure que je suis 8
En habits d'homme : je relève 8
Mes cheveux… ou, si je ne puis. 8
5 Je les coupe. Ensuite j'attache, 8
(Je ne sais encor trop comment), 8
Sur mes lèvres une moustache… 8
Blonde !… et je vais au régiment ! 8
Je veux dire que je m'engage… 8
10 Oui, moi !… D'abord on trouve bien 8
Que je ne parais pas mon âge, 8
Mais enfin cela n'y fait rien ! 8
C'est un régiment de mobiles, 8
Et tu vas comprendre pourquoi : 8
15 C'est qu'ils prennent les plus habiles 8
Pour leurs chefs… et, dame… c'est moi ! 8
Je sais bien que je te fais rire ; 8
Je ne suis pas brave souvent, 8
Mais, cette fois, je peux bien dire 8
20 Que c'est moi qui marche en avant. 8
Il n'est bruit dans toute l'armée 8
Que du jeune et bel officier 8
Qui déjà passe en renommée 8
Tous les vétérans du métier. 8
25 Tant et si bien qu'en trois semaines, 8
Ce n'est pas long, mais c'est égal), 8
Les soldats et les capitaines 8
Me choisissent pour général. 8
Alors j'ai mon projet. Nous sommes 8
30 Deux cent mille bien aguerris, 8
Je fais de mes deux cent mille hommes 8
Quatre corps… et droit sur Paris ! — 8
Je me tais sur mainte escarmouche. 8
D'où nous sortons victorieux ; 8
35 Le bruit en court de bouche en bouche 8
Mais cela n'est pas sérieux. — 8
Voici l'action décisive : 8
Trois corps, attaquant à la fois, 8
Sur trois points prennent l'offensive ; 8
40 Moi, je me cache dans les bois, 8
Derrière Versailles… Je guette 8
Le moment où ce côté-là 8
Se dégarnit… et je me jette 8
Sur Guillaume et Bismark… Voilà !… 8
45 Une voiture est à la porte ; 8
Ils ont beau jeter les hauts cris, 8
Jusqu'à Paris je les emporte 8
Au triple galop, avec Fritz !… 8
Car Fritz, il faut qu'on s'en souvienne, 8
50 Complète la collection… — 8
Ah F si je tenais la Prussienne 8
Que nous avions en pension, 8
Qui dodelinait de la tête 8
En nommant son roi vénéré ; 8
55 Qui prenait un air tendre… et bête, 8
Au nom de son Fritz adoré ! 8
Dieu ! pouvoir à son persiflage 8
Répondre par un cri vainqueur, 8
Et les lui jeter au visage, 8
60 Les princes chéris de son cœur !… 8
Enfin !… — La guerre se termine : 8
Tu vois que ce n'est pas malin ; 8
Tandis que Paris illumine. 8
On n'est pas content à Berlin. 8
65 En France, comme tu peux croire, 8
Enthousiasme général ! 8
Pour me payer de ma victoire, 8
On veut me nommer maréchal ! 8
Mais cela dépasse mon zèle ; 8
70 Je déclare modestement 8
Que je suis une demoiselle 8
Et que… — Suppose seulement 8
Que, dès le début de la guerre, 8
Un blessé nous est arrivé, 8
75 Distingué, jeune… et que naguère 8
Par mes soins je l'aurai sauvé. 8
Il est, selon toute apparence, 8
Reconnaissant… Bref ! aujourd'hui 8
Me voila maréchal de France, 8
80 Et… toute. ma gloire est pour lui ! 8
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