Métrique en Ligne
BRJ_1/BRJ38
corpus Pamela Puntel
Jules BARBIER
LE FRANC-TIREUR
1871
LE FRANC-TIREUR
XXXVIII
LE JOUR DES MORTS
Que vous êtes heureux sous vos tombes glacées. 12
O vous qui dans la mort oubliez les humains ! 12
Vous qui ne voyez pas ces fureurs insensées, 12
Ces misères, ces deuils préparés par nos mains, 12
5 Ni des gloires passées 6
Les honteux lendemains !… — 6
Pauvre cité livrée aux mains de ce vampire, 12
Tu pouvais succomber, mais en te défendant !… 12
Pour nous assassiner tout s'unit, tout conspire ; 12
10 La trahison s'allie au mensonge impudent ; 12
La Prusse aide à l'empire ; 6
Metz complète Sedan ! 6
J'ai vu de vieux soldats pleurer comme des femmes ! 12
A travers tes barreaux, ô tigre, tu nous mords ! 12
15 C'est toi qui nous flétris, c'est toi qui nous affames !… 12
Par toi les morts vont vite, et, narguant le remords, 12
Les lâchetés infâmes 6
Plus vite que les morts ! 6
Metz, une cité vierge et jusque là sacrée, 12
20 Jalouse de son nom, fière de sa vertu, 12
Par son défenseur même à l'ennemi livrée, 12
Voit déchirer le lin dont son corps est vêtu, 12
Et meurt déshonorée, 6
Sans avoir combattu ! 6
25 Ne vous semble-t-il pas d'un marchand de luxure 12
Pourvoyant le sérail d'un sultan éhonté ? 12
Il vante son esclave exempte de souillure, 12
Met à prix sa douleur avec sa nudité, 12
Et la vend chaste et pure 6
30 A cette impureté !… 6
Va, la honte en revient à qui te prostitue, 12
Et tu peux relever le front avec orgueil ! 12
Metz, ton peuple est plus grand sous le coup qui le tue 12
Quand, pour venger Fabert couché dans le cercueil, 12
35 Il voile sa statue 6
D'un long crèpe de deuil ! 6
O douleur ! on a vu tout un peuple en alarmes 12
D'un cri désespéré flétrir ce crime affreux ! 12
Les soldats consternés, muets, brisaient leurs armes, 12
40 Déchiraient leur drapeau, le partageaient entre eux !… 12
O morts, loin de ces larmes, 6
Que vous êtes heureux ! 6
Vous ne les voyez pas, ces hordes ennemies, 12
Fêter nos trahisons par des hurras vainqueurs ; 12
45 Leurs chants n'éveillent pas vos âmes endormies ; 12
Votre oreille est fermée à leurs clairons moqueurs 12
Toutes ces infamies 6
Ne troublent plus vos cœurs ! 6
Toi, mon père, en un coin de l'humble cimetière, 12
50 Tu m'attends, et ce jour s'écoulera sans moi ! 12
Ce jour où j'apportais quelques fleurs sur ta pierre 12
Où, dans un souvenir plein d’espoir et de foi, 12
Mon âme tout entière 6
Allait s'unir à toi ! 6
55 Une pieuse main ne coupera pas l'herbe 12
Qui croît sur cette terre où gît ton pauvre corps ; 12
Et peut-être un Prussien, pour en faire une gerbe 12
A son cheval fougueux qu'il traîne par le mors, 12
Foule d'un pied superbe 6
60 Gette tombe où tu dors !… 6
Non, vous ne dormez pas quand la France succombe, 12
Morts chéris, et ces chants envers vous sont ingrats ; 12
Votre cœur saigne encore à chaque homme qui tombe. 12
Vous versez vos pâleurs au front des scélérats, 12
65 Et du fond de la tombe 6
Vous nous tendez les bras ! 6
Vos forces, vos esprits, vos pitiés nous demeurent. 12
Pour nous crier : debout ! vous vous êtes levés ; 12
Je sens autour de moi vos fantômes qui pleurent ; 12
70 Les traîtres sont par vous maudits et réprouvés ; 12
Et ce sont eux qui meurent, 6
Et c'est vous qui vivez ! 6
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