Métrique en Ligne
BRI_2/BRI123
Auguste BRIZEUX
LA FLEUR D’OR
1874
LIVRE SEPTIÈME
A VENISE
Funérailles d’un Amour
À la Contessa Z—i
I
DE vos jardins, signera, 7
Cette plainte coulera, 7
Aux vins de Chypre et d’Asie 7
Sur les myrtes adoucie. 7
5 Venise, ah ! tes grands revers 7
Assez troubleront mes vers : 7
Aujourd’hui mes pleurs à celle 7
Qui fut Venise la Belle, 7
La ville du carnaval 7
10 Et du luxe oriental 7
Quand sous les masques de soie 7
S’ébattaient amour et joie. 7
Tout finit ! hélas ! hélas ! 7
Pour l’amour sonnons un glas. 7
15 Pour lui, mes sœurs et mes frères, 7
Tristement vidons nos verres. 7
II
Hélas ! j’ai vu, l’autre jour, 7
Conduire eu terre un Amour, 7
Un Amour mort de vieillesse : 7
20 Il avait trois ans, comtesse. 7
Vingt autres enfants, les fils 7
De la divine Cypris, 7
Roses ou blancs comme neige. 7
Formaient le gentil cortège, 7
25 Portant sur leurs fronts bouclés 7
Et de leurs bras potelés 7
Leur frère Amour, noble et sage 7
Comme n’en vit point notre âge. 7
Bouquets et rubans flétris 7
30 L’entouraient, tristes débris, 7
Dards émoussés par les âmes, 7
Arc brisé, torches sans flammes. 7
Puis des Amours à genoux. 7
Lisant de vieux billets doux, 7
35 Au passage de la bière 7
Semblaient dire leur prière. 7
Et ce n’étaient que sanglots, 7
Larmes coulant à longs flots 7
De ces bouches toutes rondes 7
40 Et de ces paupières blondes. 7
Un seul, railleur et narquois, 7
Disait, brisant son carquois : 7
« Lequel de nous le va suivre ? 7
Amour ne peut longtemps vivre. » 7
III
45 Aux jardins de la Brenta 7
Ainsi ma plainte éclata, 7
Non sans grâce tempérée 7
Par vous, ô liqueur dorée ! 7
Puis ma voile, grand linceul, 7
50 Me ramena triste et seul : 7
Aux rencontres des gondoles 7
Plus de vives barcarolles ; 7
Mais l’aigre pleur des courlis 7
Du canal rasant les plis, 7
55 Ou la voix des sentinelles 7
Qui se répondent entre elles. 7
Tout est muet, tout est noir, 7
Comme au fond du désespoir : 7
Dans les palais, dans les âmes. 7
60 Plus d’amour ni plus de flammes. 7
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