SCÈNE PREMIÈRE
|
L'ALLEMANDE. |
|
Déjà dans les vergers bourgeonnent les lilas !… |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Déjà sur les étangs glissent les hirondelles !… |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Ils refleurissent, eux ! |
|
|
LA FRANÇAISE. |
|
Ils refleurissent, eux ! Elles reviennent, elles ! |
|
|
L'ALLEMANDE. |
|
Hélas ! c'est le printemps ! |
|
|
LA FRANÇAISE. |
|
Hélas ! c'est le printemps ! C'est le printemps, hélas ! |
|
|
L'ALLEMANDE. |
5 |
Mon Fils était robuste ainsi qu'un jeune chêne, |
12 |
|
Et je l'avais conçu dans ma virginité ! |
12 |
|
Il allait, ne sachant ni la peur ni la haine |
12 |
|
Et se sentant bâti pour une éternité. |
12 |
|
Massif comme le bœuf, comme lui prolétaire, |
12 |
10 |
Il marchait comme lui d'un seul bloc, à pas lents, |
12 |
|
Lourd au sol, et rêveur ! et ses yeux indolents |
12 |
|
Gênés par l'infini souriaient à la terre ! |
12 |
|
Mon Fils était l'égal du plus beau des humains ! |
12 |
|
Mon Fils était l'honneur de ma couche sereine ! |
12 |
15 |
Et l'haleine du fer soufflait dans son haleine, |
12 |
|
Et l'ampleur habitait la paume de ses mains. |
12 |
|
Il est mort ! — Parmi ceux qui s'en vont de bonne heure |
12 |
|
Réclamés du néant on me l'a confondu ! — |
12 |
|
Mais depuis tant de jours que sa mère le pleure, |
12 |
20 |
S'il existait des dieux, ils me l'auraient rendu ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
S'il existait des dieux, ils pleureraient nos larmes ! |
12 |
|
Mon Fils était chétif ! Mon Fils était de ceux |
12 |
|
Que l'on n'a qu'une fois !-Frêles et paresseux, |
12 |
|
Les bras étaient trop longs et cassaient sous les armes ! |
12 |
25 |
Comme on naît du devoir il naquit du plaisir ; |
12 |
|
Il aurait vécu vieux à force de survivre ! |
12 |
|
Sa démarche était chaste ainsi que son désir, |
12 |
|
Son front avait la forme et la blancheur du livre ! |
12 |
|
Ses fins cheveux naissaient en touffes de duvet, |
12 |
30 |
Et bouclaient, jusque sur ses cils, avec paresse ! |
12 |
|
Le toucher de sa peau valait une caresse |
12 |
|
Et, quand on l'avait vu sourire, on y rêvait ! |
12 |
|
Il avait la pensée alerte et l'âme grande ! |
12 |
|
De tout noble projet son cœur était féru !… — |
12 |
35 |
Ah ! pour qu'on me le prenne-ou pour qu'on me le rende, |
12 |
|
Qu'ai-je fait cependant ! sinon — que l'avoir eu ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Il est mort ! — et là-bas, sous son linceul de neige |
12 |
|
Sinistrement couché dans toute sa longueur, |
12 |
|
Il pourrit, mon enfant !-Ah ! comme lui, que n'ai-je |
12 |
40 |
Le limon dans les yeux et le ver dans le cœur ! |
12 |
|
Et déjà l'envahit l'impassible nature ! |
12 |
|
Les vautours ont flairé leur vie en ce néant ! |
12 |
|
Leur essaim est dardé sur ce torse béant ; |
12 |
|
Ils planent ! Ils se sont mesuré leur pâture ! |
12 |
45 |
O terreur ! leurs longs becs viennent de l'effleurer ! |
12 |
|
Vautours, retirez-vous ! ce n'est pas votre proie ! |
12 |
|
N'y touchez point ! craignez que la foudre vous broie ! |
12 |
|
Vautours, c'est lui !… vautours, regardez-moi pleurer ! |
12 |
|
Qui donc me défendra son cadavre ? — Personne ! |
12 |
50 |
L'épouvante l'entoure et s'exhale de lui ! |
12 |
|
Le fossoyeur lui-même au coin du bois frissonne |
12 |
|
Au bruit de leur festin sinistre !… il s'est enfui ! |
12 |
|
Oh ! n'ayez pas d'enfants ! Oreilles, yeux et bouches, |
12 |
|
Fermez-vous ! Que nos seins dessèchent, apaisés ! |
12 |
55 |
C'est le baiser du ver que fécondent nos couches, |
12 |
|
C'est la couche du ver qu'allument nos baisers ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Heureuse celle-là qui, même inconsolée, |
12 |
|
Repose sa douleur sur de jeunes berceaux ! |
12 |
|
Quand le chêne est tombé les naissants arbrisseaux |
12 |
60 |
Repeuplent lentement l'azur de la vallée ! |
12 |
|
Je n'avais que lui seul, ô conjugal affront ! |
12 |
|
S'éteignent avec lui ma famille — et sa race ! |
12 |
|
Et sur ce sein stérile, où se plaisait son front, |
12 |
|
Aucun autre ne met son front et ne m'embrasse ! |
12 |
65 |
Mais de ce corps, qui gît immortellement veuf |
12 |
|
De son âme immortelle, une œuvre de génie |
12 |
|
Remonte inexprimée à la source infinie, |
12 |
|
Et je ne sais quel monde avorte dans son œuf ! |
12 |
|
Et ma chair ne peut plus le repétrir encore ! |
12 |
70 |
Dans sa veine mon sang ne peut plus s'infuser ! |
12 |
|
Et la gloire, ignorant cette ébauche d'aurore, |
12 |
|
Au temple des soleils va me la refuser ! |
12 |
|
Je ne crois plus en toi, Providence complice ! |
12 |
|
Les meilleurs de tes mains sont tes premiers repris ! |
12 |
75 |
Dieu, qui brises les corps pour prendre les esprits, |
12 |
|
Non, que ta volonté jamais ne s'accomplisse ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Déjà dans les vergers bourgeonnent les lilas ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Déjà sur les étangs glissent les hirondelles ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Ils refleurissent, eux ! |
|
|
LA FRANÇAISE. |
|
Ils refleurissent, eux ! Elles reviennent, elles ! |
|
|
L'ALLEMANDE. |
|
Hélas ! c'est le printemps ! |
|
|
LA FRANÇAISE. |
80 |
Hélas ! c'est le printemps ! C'est le printemps, hélas ! |
|
|
|
SCÈNE II
L'ALLEMANDE. |
|
Non ! non ! Il n'est pas mort ! Il respire ! Il m'appelle ! |
12 |
|
Je l'entends !-Oui, mon Fils, je viens ! je t'obéis ! |
12 |
|
Je pars ! J'ai mon amour pour guide ! Oh ! ce pays, |
12 |
|
Je ne l'ai jamais vu, mais je me le rappelle ! |
12 |
85 |
Jeune mère, dis-moi : mon Fils a succombé |
12 |
|
Près d'une forteresse ; une rivière est proche… |
12 |
|
Mène-moi ! Montre-moi la route ! A son approche |
12 |
|
Je sentirai la place où mon Fils est tombé ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
O mère ! ma patrie est grande !vos armées |
12 |
90 |
L'ont, du nord au midi, couverte de mourants ! |
12 |
|
Les fleuves sous vos pas ont changé leurs courants ; |
12 |
|
Les collines par vous ont été déformées ! |
12 |
|
Le vallon où mon Fils est mort, je le connais ! |
12 |
|
Mais des autres vallons j'ai perdu souvenance ! |
12 |
95 |
On y voit le taillis lugubre des genêts, |
12 |
|
On y voit des créneaux la lugubre ordonnance !… |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Oui ! c'est là qu'il doit être-et là qu'il est !-Je vois |
12 |
|
Ces genêts, ces créneaux tels que tu les dévoiles ! |
12 |
|
Je vois aussi-là-bas,-comme un rideau de bois ; |
12 |
100 |
Ce sont des peupliers qui tremblent aux étoiles ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Oui ! de blancs peupliers s'y balancent ! — et puis |
12 |
|
Sur sa croix, qu'inclina l'ouragan d'une bombe, |
12 |
|
Un rameau de buis vert !… |
|
|
L'ALLEMANDE. |
|
Un rameau de buis vert !… Oui ! le rameau de buis |
|
|
Comme au vent de l'obus s'incline sur sa tombe !… |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
C'est là qu'il dort ! |
|
|
L'ALLEMANDE. |
|
C'est là qu'il dort ! C'est là qu'il dort ! |
|
|
LA FRANÇAISE. |
|
C'est là qu'il dort ! C'est là qu'il dort ! Mon Fils ! |
|
|
L'ALLEMANDE. |
105 |
C'est là qu'il dort ! C'est là qu'il dort ! Mon Fils ! Mon Fils ! |
|
|
LA FRANÇAISE. |
|
Je vous parle du mien, Femme, et non pas du vôtre ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
C'est du mien qu'il s'agit, Femme, il n'en est pas d'autre ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
De l'enfant que j'avais ! |
|
|
L'ALLEMANDE. |
|
De l'enfant que j'avais ! De l'enfant que je fis ! |
|
|
LA FRANÇAISE. |
|
En France, le tombeau c'est le champ de bataille ! |
12 |
110 |
Et mon Fils est mort-là ! — Le point est débattu ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
En Allemagne, on dort où l'on a combattu, |
12 |
|
Et mon Fils est mort-là !-Crois-tu que je m'en aille ? |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Portez plus loin vos fleurs ! |
|
|
L'ALLEMANDE. |
|
Portez plus loin vos fleurs ! Vous, plus loin votre encens ! |
|
|
LA FRANÇAISE. |
|
Vous ne pleurerez pas un Français, je suppose ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
115 |
Éloignez-vous : c'est là qu'un Allemand repose ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Mais je l'ai vu, vous dis-je ! |
|
|
L'ALLEMANDE. |
|
Mais je l'ai vu, vous dis-je ! Eh bien, moi, je le sens ! |
|
|
LA FRANÇAISE. |
|
La mort a quelquefois des caprices funèbres, |
12 |
|
Et peut-être en effet ils sont là tous les deux ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Le tombeau fait parfois des couples hasardeux |
12 |
120 |
Et peut-être leurs yeux ont-ils mêmes ténèbres ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Peut-être ils sont tombés face à face au combat, |
12 |
|
Ainsi que dans la terre ils dorment face à face ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Peut-être sous le sol, et tel qu'à la surface, |
12 |
|
Leur sommeil reproduit l'horreur de leur débat ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
125 |
J'y pense : ma douleur est bien près de la tienne ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
J'y songe : mon cadavre est bien voisin du tien ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Allemande ! ta couche a dépeuplé la mienne ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Française ! c'est ton Fils qui m'a tué le mien ! |
12 |
|
|
SCÈNE III
LA FRANÇAISE. |
|
Ton Fils était robuste ainsi qu'un jeune chêne, |
12 |
130 |
Le mien était chétif comme un frêle arbrisseau ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Ton Fils avait l'esprit qui dirige la haine, |
12 |
|
Le mien avait gardé la candeur du berceau ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Le génie au combat est vassal de la force ! |
12 |
|
Plus d'un chef fut en proie au butor triomphant ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
135 |
La force est le gibier ; le génie est l'amorce ! |
12 |
|
Goliath est tombé de la main d'un enfant ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Ton Fils était habile aux armes ! Sa patrie |
12 |
|
Pour ce labeur de mort te l'avait préparé ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Le tien , fils des Latins, en avait l'industrie ; |
12 |
140 |
D'une vengeance amère il était altéré |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Le tien avait ses Rois. |
|
|
L'ALLEMANDE. |
|
Le tien avait ses Rois. Le tien, sa République ! |
|
|
LA FRANÇAISE. |
|
Ivre de son faux droit, il marchait convaincu ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Ivre de son devoir, il marchait sans réplique ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Le tien était vainqueur ! |
|
|
L'ALLEMANDE. |
|
Le tien était vainqueur ! Le tien était vaincu ! |
|
|
LA FRANÇAISE. |
145 |
O Femme aux cheveux blonds, me crois-tu donc si veule ? |
12 |
|
Et connais-tu l'éclair qui passe dans mes yeux ? |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
O Femme aux cheveux bruns, mes bras sont déjà vieux, |
12 |
|
Mais hier ils levaient une pierre de meule ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
En France, la vengeance est une vendetta, |
12 |
150 |
Un meurtre s'y transmet ainsi qu'un héritage ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Eh bien, en Allemagne on en fait le partage, |
12 |
|
Mille sont endettés pour un qui s'endetta ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
O Femme, aux os d'airain, redoute ma morsure ! |
12 |
|
Les ciseaux de mes dents ont des secrets mortels ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
155 |
O Femme, aux nerfs d'acier, mes poings sont des martels ; |
12 |
|
Ils ont des coups affreux qui rendent la mort sûre ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Sans doute un de ces coups par vos fils assénés ! — |
12 |
|
Laisse parler ton sang ! il t'a trahi, j'espère ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Tes secrets, on les lit entre tes dents, vipère ! |
12 |
160 |
Les derniers-nés chez vous les tiennent des aînés ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Ose dire à présent que par sa seule force |
12 |
|
Ton Fils n'a pas brisé cette tête du poing ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Prouve-moi maintenant que ton enfant n'est point |
12 |
|
Celui qui par la ruse a transpercé ce torse ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
165 |
O doute ténébreux ! Insondable secret ! |
12 |
|
Qui vole à ma douleur jusques à ses blasphèmes ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
O justice qui laisse un crime sans arrêt ! |
12 |
|
Les morts n'ont devant toi d'autres témoins |
|
|
Les morts n'ont devant toi d'autres témoinsqu'eux-mêmes ! |
|
|
|
SCÈNE IV
LA FRANÇAISE. |
|
Vois : l'année a sauvé son printemps en péril ! |
12 |
170 |
Dans l'ombre des lilas naissent les violettes. |
12 |
|
Rien ne pleure ou ne rit encore, c'est Avril ! |
12 |
|
La nature incertaine essaye ses voilettes ! |
12 |
|
La larme au bord des cils, le rire au fond de l’œil, |
12 |
|
Elle essuie à l'azur le sang de sa batiste ; |
12 |
175 |
Veuve et déjà promise, ainsi qu'un demi-deuil, |
12 |
|
Elle risque au soleil sa robe d'améthyste ! |
12 |
|
Jours que mon Fils aimait, comme il vous a trahis ! |
12 |
|
– Femme, vois nos printemps, et juge ta victime, |
12 |
|
Puisque, malgré l'attrait de leur beauté sublime, |
12 |
180 |
C'est le mois où mon Fils partait pour ton pays ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Les printemps allemands ont des retours fidèles ! |
12 |
|
Et ceux qui les ont vus les gardent dans les yeux ! |
12 |
|
Sur nos toits adorés, et d'aïeux en aïeux, |
12 |
|
Y reviennent nicher les mêmes hirondelles ! |
12 |
185 |
Des fleurs de cerisier le vallon est semé, |
12 |
|
Et l'aube, en s'éveillant, y parle à l'alouette !… |
12 |
|
On n'a qu'à les aimer pour s'y sentir poëte, |
12 |
|
On n'a qu'à les chanter pour s'y sentir aimé ! |
12 |
|
Saison qu'il chérissait, ta douceur m'est flétrie ! |
12 |
190 |
–O Femme, vois ton œuvre, et juge mes tourments, |
12 |
|
Puisque, malgré l'appel des printemps allemands, |
12 |
|
Mon Fils les oubliait pour ceux de ta Patrie ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
En t'écoutant, je sens qu'ils se seraient aimés ! |
12 |
|
De leur haine s'envole une amitié ravie ! |
12 |
195 |
Ils devaient vivre à deux tels qu'ils sont inhumés ; |
12 |
|
La mort tient la promesse amère de la vie. |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Ils étaient assemblés pour de touchants emprunts, |
12 |
|
Car l'un avait la force et l'autre le génie ! |
12 |
|
Dans l’œuvre fraternelle on eût vu l'harmonie |
12 |
200 |
Des cheveux blonds mêlés avec les cheveux bruns ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Tout est fini ; la haine est semée ! elle germe ! |
12 |
|
Le Rhin ne borne plus les futures moissons ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Le Rhin débordera du sang des nourrissons ! |
12 |
|
La porte est trop ouverte, il faudra qu'on la ferme ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
205 |
L'avenir est trop noir, Mère, pardonnons-nous, |
12 |
|
Comme nos Fils se sont pardonnés l'un et l'autre ! |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Vous pleurerez mon Fils, je pleurerai le vôtre ! |
12 |
|
Pardonnons-nous, ô Mère, et ployons les genoux ! |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Mais s'il est quelque part un Dieu que l'on redoute, |
12 |
210 |
Sur ce double tombeau mon cœur lui dit ceci. |
12 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Si quelqu'un nous entend il peut m'entendre aussi ; |
12 |
|
Une mère a des mots que le destin écoute. |
12 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Maudit soit, même en enfer, |
7 |
|
Le premier fils de la femme |
7 |
215 |
Qui pour un labour infâme |
7 |
|
Aiguisa le premier fer. |
7 |
|
Qu'aux deux termes de sa race |
7 |
|
Sa filière, dont la trace |
7 |
|
Là se perd, et là grandit, |
7 |
220 |
Rencontre mon anathème, |
7 |
|
Et si c'est Caïn lui-même, |
7 |
|
Que Caïn dorme maudit ! |
7 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Maudit soit dans son engeance |
7 |
|
Celui qui des pieds de Dieu |
7 |
225 |
Aux hasards de la vengeance |
7 |
|
Déchaîna le premier feu ! |
7 |
|
Quel que soit l'amas de poudre |
7 |
|
Qui témoigne de sa foudre, |
7 |
|
Qu'il soit Éden ou Babel, |
7 |
230 |
Si ce larron du tonnerre |
7 |
|
Est Abel le débonnaire, |
7 |
|
Anathème sur Abel ! |
7 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Maudit soit le sombre prêtre |
7 |
|
Qui des murs de son cachot |
7 |
235 |
Gratta le premier salpêtre |
7 |
|
Et l'approcha d'un réchaud ! |
7 |
|
Qui fit monter dans les âges |
7 |
|
La mer de sang sans rivages |
7 |
|
Dont l'amour gardait les sceaux, |
7 |
240 |
Et par son fléau funeste |
7 |
|
A découronné la peste |
7 |
|
Du premier rang des fléaux ! |
7 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Maudit soit dans son audace |
7 |
|
L'homme qui d'un front altier |
7 |
245 |
Regarda la mort en face |
7 |
|
Et qui s'en fit un métier ! |
7 |
|
Pasteur des plaines amères |
7 |
|
Qui pendit le cœur des mères |
7 |
|
A la hampe d'un drapeau |
7 |
250 |
Et sur les cris d'agonie |
7 |
|
Fit célébrer son génie |
7 |
|
Par le reste du troupeau ! |
7 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Je vous garde en économe |
7 |
|
Vous, de nos terreurs armés |
7 |
255 |
Et d'autant mieux dénommés |
7 |
|
Que personne ne vous nomme ! |
7 |
|
Vous par qui vit le corbeau ! |
7 |
|
Et s'enrichit le tombeau ! |
7 |
|
Et reverdissent les saules ! |
7 |
260 |
Et par qui l'homme est jaloux |
7 |
|
De la tanière des loups |
7 |
|
Et des ténèbres des pôles ! |
7 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Vous par qui voudrait veiller |
7 |
|
Le front lassé qui sommeille ! |
7 |
265 |
Par qui celui qui s'éveille |
7 |
|
Voudrait encor sommeiller ! |
7 |
|
Par qui son tourment sans trêve |
7 |
|
Est dépossédé du rêve ! |
7 |
|
Et par qui l'azur des airs |
7 |
270 |
N'est plus qu'une larme immense |
7 |
|
Où nagent dans la démence |
7 |
|
Des fantômes d'univers ! |
7 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Par qui toute mère implore |
7 |
|
Le Dieu de stérilité, |
7 |
275 |
En voyant son fils éclore |
7 |
|
Au mal de virilité ! |
7 |
|
Par qui l'azur, linceul d'âmes, |
7 |
|
Le soleil, gouffre de flammes, |
7 |
|
La mer, abîme des vents, |
7 |
280 |
La terre, morne suaire, |
7 |
|
Ne font plus qu'un ossuaire |
7 |
|
Où s'enlisent les vivants ! |
7 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Par qui frissonne en sa fièvre |
7 |
|
Le laboureur accablé |
7 |
285 |
Qui sent venir à sa lèvre |
7 |
|
Le goût sanglant de son blé ! |
7 |
|
Par qui tout pleure et tout crie ! |
7 |
|
Sur le mont, dans la prairie, |
7 |
|
Du premier toit au dernier, |
7 |
290 |
Et par qui l'aigle qui passe |
7 |
|
N'entend monter dans l'espace |
7 |
|
Que des rumeurs de charnier ! |
7 |
|
LA FRANÇAISE. |
|
Soyez maudits sur vos trônes |
7 |
|
Posés dans les ouragans ! |
7 |
295 |
Que l'anneau de vos couronnes |
7 |
|
Soit l'anneau de vos carcans ! |
7 |
|
Que, semés parmi vos chaînes, |
7 |
|
Les boulets, chers à vos haines, |
7 |
|
Vous brisent l'ongle et l'orteil ; |
7 |
300 |
Et que votre ombre asservie |
7 |
|
Nous laisse égoutter la vie |
7 |
|
Par le filtre du soleil ! |
7 |
|
L'ALLEMANDE. |
|
Et dans la mort fraternelle |
7 |
|
Dormiront des cœurs moins las ! |
7 |
305 |
Et la nature éternelle |
7 |
|
Aura d'éternels lilas ! |
7 |
|
Et les chœurs des hirondelles, |
7 |
|
Se frayant à grands coups d'ailes |
7 |
|
Cette voie où des élus |
7 |
310 |
Flottent les essaims contraires, |
7 |
|
Iront crier à nos frères |
7 |
|
Que les tyrans ne sont plus ! |
7 |
|
|
|