Métrique en Ligne
BRG_1/BRG1
corpus Pamela Puntel
Émile BERGERAT
A CHÂTEAUDUN
1871
A CHÂTEAUDUN
A MON AMI FERDINAND GLAIZE
Petite ville de province, 8
Ton salutaire souvenir 8
N'est pas dé ceux dont on évince 8
La mémoire de l'avenir ! 8
5 Ta gloire n'est pas établie » 8
Sur un socle au granit chanceux, 8
Et ton combat n'est pas de ceux 8
Qu'un poëte français oublie ! 8
Petite ville, si j'étais 8
10 Ce que pour toi je voudrais être, 8
Avec ta ceinture pour mètre 8
Et tes ruines pour étais, 8
Je te bâtirais… —Ah ! devine ! 8
— Un tombeau ? — non ! — Un temple ? — non ! — 8
15 — Un Colysée, un Parthénon ? — 8
Non plus ! — Quelque Babel divine ? 8
— Non ! mais si tu veux le savoir. 8
Un collège, — avec cette enseigne : 8
« Ici l'héroïsme s'enseigne ! 8
20 « Ici l'on apprend son devoir 8
« Ici l'on revêt sa poitrine 8
« Du triple airain de la vertu ! 8
« Discendum vivere mortu ! 8
« L'exemple est près de la doctrine ! » 8
25 Et dans cette université 8
Les enfants qui seront la France 8
Auraient des vieux de la cité 8
L'enseignement de délivrance ! 8
Et l'on en compterait plus d'un 8
30 Dans l'élite de ceux qu'on trie 8
Qui viendraient savoir la patrie 8
Au collège de Châteaudun ! 8
Qu'ils sont rares dans le silence, 8
Les cœurs taillés sur ton patron ! 8
35 Le vieux monde n'est qu'un poltron 8
Qui sur son tombeau se balance ! 8
O sinistre farniente 8
Qui renversera la bascule 8
Où s'alourdit et s'émascule 8
40 Notre vieille chrétienté ? 8
Qui nous changera cette race 8
Dont le bras dément le cerveau, 8
Pour qui nul rêve n'est nouveau, 8
Et que l'action embarrasse ; 8
45 Qui se rit de ses porte-croix 8
Et de ses buveurs de ciguës, 8
Et qui n'a plus de blanc, je crois, 8
Que son rictus de dents aiguës ? 8
Ah ! petit écrin de héros, 8
50 Comme auprès de toi sont vulgaires 8
Tous ces Marlborough-va-t-en-guerres 8
Affublés de leurs sombreros ! 8
Quelle est triste cette campagne 8
De mil huit cent soixante et dix ! 8
55 Quelles villes ! ,quelle campagne ! 8
Quelle France ! oh ! De profundis ! 8
Sont-ce là tes fils, grande Terre ? 8
— Pieux paysans, dites-nous, 8
La lâcheté, la tenez-vous 8
60 De Bossuet ou de Voltaire ? 8
Dans quels écrits, même des leurs, 8
Lisez-vous qu'on jette ses armes, 8
Et que l'on répond par des larmes 8
Aux coups de bâton des voleurs ? 8
65 Dites : De quelle république, 8
De quel roi tenez-vous ce cœur 8
De dénoncer d'un geste oblique 8
Les vaincus cachés au vainqueur ? 8
Pendant les nuits où l'on trébuche, 8
70 De quel faiseur de coups d’État 8
Apprîtes-vous cet attentat 8
De les jeter dans une embûche ? 8
De quels confesseurs mal fessés, 8
Ou de quel juif épouvantable, 8
75 L'art de préserver votre étable 8
En y refusant des blessés ? 8
Chez quels marchands de vin obèses, 8
Dans quel couvent vous apprit-on 8
A souiller les vignes françaises 8
80 En trinquant avec les Teutons ? 8
De qui la faites-vous dépendre 8
Votre honte, dont je prends soin, 8
Misérables, qu'il faudrait pendre, 8
Si l'on pendait avec du foin ! 8
85 Ah ! c'est d'une haine jalouse 8
Que je les hais, ces vieux brigands, 8
Qui portent l'habit sous la blouse 8
Et l'ongle crochu sous les gants ! 8
Je la hais ! cette ignoble race 8
90 De voteurs d'empires tout faits, 8
Envieuse, inepte, vorace, 8
Craignant moins Dieu que ses préfets ! 8
Qui fait de serment industrie, 8
Feu de tout bois, argent de tout, 8
95 Et jouerait jusqu'à sa patrie 8
Sur la crasse d'un roi d'atout ! 8
Dont l’œil pour un sou neuf s'injecte, 8
Et s'humecte au cri des bouchons !.,. 8
Auprès de cette engeance abjecte 8
100 Les porcs ne sont plus des cochons ! 8
Ah ! laissez-moi ! je me soulage, 8
Car je les ai toujours haïs ! 8
Car ils m'ont perdu mon pays 8
Comme ils m'ont perdu mon village. 8
105 Les Teutons en avaient pitié ! 8
Et nos turcos en avaient honte ! 8
Dans nos désastres, si l'on compte, 8
Ils sont au moins pour la moitié ! 8
Adieu, forêt ! adieu, prairie ! 8
110 Je n'irai plus dans vos chalets ! 8
Les vassaux sont restés valets ! 8
Après le château, la mairie ! 8
J'ai le remords des jours vécus, 8
O nature, dans tes bocages ! 8
115 Mettez les rossignols en cages : 8
Ils ne chantent que les écus ! 8
L'herbe est lâche, et la ronce tremble ! 8
Les bois sont couards ! et les eaux 8
Sanglotent de peur sous le tremble 8
120 D'où se débandent les oiseaux ! 8
Adieu, champs ! La moisson est vile ! 8
Le vin du crû perd au grésil 8
Son fier goût de pierre à fusil !… 8
— Je veux mourir dans une ville ! 8
125 Châteaudun ! s'il reste en tes murs 8
Un pigeonnier pour un poëte 8
D'où l'on entende l'alouette 8
Chanter l'aube dans les blés murs, 8
Garde-le-moi : je veux y vivre ! 8
130 Je veux y retremper ma foi ! 8
J'y veux apprendre au moins de toi 8
Comment un peuple se délivre ! 8
Compter à l'âge de tes fils 8
Les jours que la vertu confère, 8
135 Et chanter ce que l'on doit faire 8
En célébrant ce que tu, fis ! 8
Je veux, dénombrant par une ode 8
Chacun de tes Guillaume Tell, 8
Sous ta dictée, obscur Rapsode, 8
140 Écrire un poëme immortel ! 8
Et si ton héroïque histoire 8
Trouve en moi son barde inspiré, 8
Si ma lyre module en gloire 8
Ton héroïsme respiré ; 8
145 Si je tisse bien cette trame 8
Qui te renoue aux grands aïeux, 8
Si mon cœur digne de ton âme 8
Trouve le chemin de tes yeux, 8
Je ne rêve, orfèvre de rimes, 8
150 D'autres salaires triomphants 8
Qu'une de tes filles sublimes 8
Pour la mère de mes enfants ! 8
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