Métrique en Ligne
BRB_1/BRB53
Auguste BARBIER
Ïambes et poèmes
1831
LAZARE
ÉPILOGUE
Ô misère ! Misère ! 6
Toi qui pris sur la terre 6
Encore toute en feu 6
L'homme des mains de Dieu ; 6
5 Fantôme maigre et sombre, 6
Qui, du creux du berceau 6
Jusqu'au seuil du tombeau, 6
Comme un chien suis son ombre, 6
Ô toi qui bois les pleurs 6
10 Écoulés de sa face, 6
Et que jamais ne lasse 6
Le cri de ses douleurs ; 6
Ô mère de tristesse ! 6
Ces chants sont un miroir 6
15 Où l'on pourra te voir 6
Dans toute ta détresse. 6
J'ai voulu que devant 6
Ton image terrible, 6
L'homme le moins sensible, 6
20 Le plus insouciant, 6
Pût sentir et comprendre 6
À quels prix redoutés 6
La providence engendre 6
Les superbes cités. 6
25 J'ai voulu qu'en toute âme 6
La pitié descendît, 6
Et qu'à sa douce flamme 6
Tout cœur dur s'attendrît ; 6
Et que, moins en colère 6
30 Et moins de plis au front, 6
L'homme à juger son frère 6
Ne fût plus aussi prompt. 6
Ô misère ! Misère ! 6
Puisse ce chant austère 6
35 Trouver sous plus d'un ciel 6
Un écho fraternel ! 6
Puisse cet hymne sombre 6
Susciter en tous lieux 6
Des avocats sans nombre 6
40 Au peuple noir des gueux ! 6
Il faut en ce bas monde 6
Que les plus belles voix 6
Contre ta lèpre immonde 6
S'élèvent à la fois ; 6
45 Il faut que de sa couche 6
L'homme chasse la faim, 6
Il faut à toute bouche 6
Mettre un morceau de pain ; 6
Donner la couverture 6
50 Aux pauvres gens sans toits, 6
Et de laine et de bure 6
Vêtir tous les corps froids. 6
Il faut, misère infâme, 6
À ta griffe arracher, 6
55 Autant qu'on pourra, l'âme 6
Avec toute sa chair. 6
Hélas ! Dans cette tâche, 6
Quel que soit son effort, 6
Son labeur sans relâche 6
60 Jusqu'au jour de la mort, 6
Si bien que fasse l'homme 6
Pour amoindrir le mal, 6
Et réduire la somme 6
De l'élément fatal, 6
65 Dans les cités humaines 6
Il restera toujours 6
Assez de fortes peines, 6
De maux cuisants et lourds, 6
Pour qu'en sa plainte amère 6
70 L'éternelle douleur 6
Loin de ce globe espère 6
Quelque monde meilleur. 6
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