Métrique en Ligne
BRB_1/BRB36
Auguste BARBIER
Ïambes et poèmes
1831
LAZARE
PROLOGUE
Je m'embarque aujourd'hui sur la plaine brumeuse 12
Où le vent souffle, et, sans repos, 8
Hérisse les crins verts de la vague écumeuse, 12
Et bondit sur son large dos. 8
5 À travers le brouillard et l'onde qui me mouille, 12
Les cent voix du gouffre béant, 8
Je m'en vais aborder ce grand vaisseau de houille 12
Qui fume au sein de l'océan, 8
La nef aux flancs salés qu'on nomme l'Angleterre. 12
10 Ô sombre et lugubre vaisseau, 8
Je vais voir ce qu'il faut de peine et de misère 12
Pour te faire flotter sur l'eau ! 8
Je vais voir si les mers nouvelles où tu traînes 12
La flottille des nations 8
15 Auront moins de vaincus, de victimes humaines, 12
Ensevelis dans leurs sillons ; 8
Si le pauvre Lazare est toujours de ce monde, 12
Et si, par ta voile emporté, 8
Toujours les maigres chiens lèchent la plaie immonde 12
20 Qui saignait à son flanc voûté. 8
Ah ! Ma tâche est pénible et grande mon audace ! 12
Je ne suis qu'un être chétif, 8
Et peut-être bien fou, contre une telle masse 12
D'aller heurter mon frêle esquif ; 8
25 Je sais que bien souvent, ô puissante Angleterre ! 12
Des rois et des peuples altiers 8
Ont vu leurs armements et leur grande colère 12
Se fondre en écume à tes pieds ; 8
Je connais les débris qui recouvrent la plage, 12
30 Les mâts rompus et les corps morts ; 8
Mais il est dans le ciel un Dieu qui m'encourage 12
Et qui m'entraîne loin des bords. 8
Ô toi ! Qui du plus haut de cette voûte ronde, 12
D'un œil vaste et toujours en feux, 8
35 Sondes les moindres coins des choses de ce monde 12
Et perces les plus sombres lieux ; 8
Toi qui lis dans les cœurs de la famille humaine 12
Jusqu'au dessein le plus caché, 8
Et qui vois que le mien par le vent de la haine 12
40 N'est pas atteint et desséché ; 8
Ô grand Dieu ! Sois pour moi ce que sont les étoiles 12
Pour le peuple des matelots ; 8
Que ton souffle puissant gonfle mes faibles voiles, 12
Pousse ma barque sur les flots ; 8
45 Écarte de mon front les ailes du vertige, 12
Éloigne cet oiseau des mers 8
Qui tout autour des mâts se balance et voltige ; 12
Et, dans le champ des flots amers, 8
Quelles que soient, hélas ! Les choses monstrueuses 12
50 Dont mon œil soit épouvanté, 8
Oh ! Maintiens-moi toujours dans les routes heureuses 12
De l'éternelle vérité. 8
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