Métrique en Ligne
BOU_3/BOU82
Louis BOUILHET
DERNIÈRES CHANSONS
1869
XV
SOMBRE ÉGLOGUE
Le Voyageur.
L'ombre sans lune a couvert la campagne ; 10
Où t'en vas-tu, pâtre silencieux ? 10
Le Pâtre.
Ô voyageur, le souci m'accompagne, 10
Et, quand tout dort, je marche sous les cieux. 10
Le Voyageur.
5 Sans voix qui bêle et sans grelot qui sonne, 10
Ton noir troupeau s'allonge dans la nuit !… 10
Le Pâtre.
Ô voyageur, ne le dis à personne, 10
Il est muet le troupeau qui me suit ! 10
Le Voyageur.
Ce ne sont donc ni des boeufs ni des chèvres 10
10 Que tu conduis, ô pâtre, avant le jour ? 10
Ce chalumeau tout usé par tes lèvres 10
Ne sait donc pas quelque refrain d'amour ? 10
Le Pâtre.
J'ai dans ma flûte un refrain lamentable ; 10
J'ai dans mon âme un hymne de douleurs 10
15 Qui fait, en cercle, autour de mon étable, 10
Tomber les nids et se faner les fleurs ! 10
Le Voyageur.
Mais… ce troupeau ! Qu'ai-je vu ?… je frissonne !… 10
Spectres hideux, à la tombe échappés ! 10
Le Pâtre.
Ô voyageur, ne le dis à personne, 10
20 C'est le troupeau de mes désirs trompés ! 10
Le Voyageur.
Ciel ! Comme on voit, là-bas, grandir la foule ! 10
Leur nombre échappe à mes regards perclus ! 10
Le Pâtre.
Ne compte pas ! Chaque instant qui s'écoule 10
Derrière moi, laisse un monstre de plus. 10
Le Voyageur.
25 Quel Dieu t'enchaîne à ce troupeau farouche ? 10
Viens, ô berger, dans nos vallons fleuris, 10
Un rossignol chante au bord de ma couche, 10
Mon toit de paille est tout brodé d'iris !… 10
Le Pâtre.
Oh ! Voyageur, dans tes vallons fidèles 10
30 Je ne veux pas montrer ce front pâli. 10
Nous allons paître au champ des asphodèles, 10
Nous allons boire aux fleuves de l'oubli ! 10
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