Métrique en Ligne
BOU_3/BOU78
Louis BOUILHET
DERNIÈRES CHANSONS
1869
XI
LE BOIS QUI PLEURE
Tout est mort ! ‒ vers d'autres climats 8
Les oiseaux vont chercher fortune, 8
Et la terre, sous les frimas, 8
Est blanche, au loin, comme la lune. 8
5 Le vent, pareil à cent taureaux, 8
Mugit au seuil de ma demeure ; 8
Le givre a brodé mes carreaux ; 8
À mon foyer, la bûche pleure : 8
‒ « Je me souviens !… je me souviens !… 8
10 Au pied des monts… dans le bois sombre… 8
Mon front large, en ces jours anciens, 8
Faisait, à terre, une grande ombre ! 8
« Oh ! Les cieux en pluie épandus 8
Sur l'ébullition des séves ! 8
15 Oh ! Les ravissements perdus 8
Dans la profondeur de mes rêves ! 8
« Et comme au bord des claires eaux 8
Frissonnait mon écorce grise, 8
Sous le pied leste des oiseaux 8
20 Ou les caresses de la brise ! 8
« L'hiver venait, chassant l'été ; 8
Tout s'abritait au toit des villes ; 8
Seul, je gardais la majesté 8
Des existences immobiles ! 8
25 « Et, dressant mon squelette noir 8
Sur la nudité des champs mornes, 8
Silencieux dans mon espoir 8
Des rajeunissements sans bornes, 8
« J'attendais ces temps plus heureux 8
30 Où, sur mes branches découvertes, 8
Le chant des merles amoureux 8
Ferait pousser des feuilles vertes ! 8
« Plus de nids !… plus de vents dans l'air, 8
Secouant à flots mon feuillage ! 8
35 La hache a, comme un pâle éclair, 8
Frappé mon tronc durci par l'âge ; 8
« Et, traîné des vallons charmants 8
Au chantier brutal des banlieues, 8
J'ai senti mes os, par moments, 8
40 Crier sous la scie aux dents bleues !… » 8
‒ la pauvre bûche pleure encor ; 8
Mais déjà, dans ses mille étreintes, 8
Le feu, comme un grand poulpe d'or, 8
Fait, sans pitié, mourir ses plaintes ! 8
45 L'âme légère du vieux bois, 8
Moitié brise et moitié rosée, 8
Libre pour la première fois, 8
Flotte sur la cendre embrasée !… 8
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