Métrique en Ligne
BOU_3/BOU107
Louis BOUILHET
DERNIÈRES CHANSONS
1869
XL
BERCEUSE PHILOSOPHIQUE
Monsieur l'enfant qu'on attendait, 8
Soyez le bienvenu sur terre ! 8
Vous dansez comme un farfadet, 8
En narguant la sagesse austère ; 8
5 Car Dieu vous fit frais et vermeil, 8
Et votre mère en est ravie, 8
Et vous avez, sous le soleil, 8
L'éblouissement de la vie. 8
Déjà, pour vos repas de choix, 8
10 Tout travaille, ô tyran superbe : 8
L'abeille qui bourdonne au bois, 8
La vache qui mugit dans l'herbe. 8
Vous daignerez un peu plus tard, 8
Dans un carrosse en miniature, 8
15 Honorer d'un vague regard 8
Cet hommage de la nature. 8
Vous encouragerez un peu, 8
Comme il sied aux rois débonnaires, 8
Les oiseaux qui sont en tout lieu 8
20 Vos musiciens ordinaires. 8
Vous connaîtrez les champs, les fleurs, 8
Les grands flots qu'un souffle balance, 8
Et la pelouse aux cent couleurs, 8
Molle aux pieds de votre excellence ; 8
25 Puis le ciel, admirable à voir, 8
Pavillon que Dieu vous décore 8
De taffetas bleu jusqu'au soir, 8
De velours brun jusqu'à l'aurore. 8
Un mot pourtant de l'avenir : 8
30 Tout vous flatte, ô maître du monde ! 8
Toutes les mains, pour vous bénir, 8
Caressent votre tête blonde. 8
Et votre mère, en ses ébats, 8
Colle ses lèvres affolées 8
35 Aux traces de vos premiers pas 8
Sur la poussière des allées. 8
Car, enfant, vous avez pour vous 8
Mieux que la force qui nous blesse, 8
La majesté des grands yeux doux, 8
40 Le droit divin de la faiblesse. 8
Goûtez-les bien, ces jours dorés 8
Faits de jeu, de rire et de danse ! 8
Vous grandirez, vous grandirez 8
De décadence en décadence. 8
45 On vous ôtera sans merci 8
Votre pouvoir de sept années, 8
Et vous serez esclave aussi, 8
Dès que vos forces seront nées. 8
Vous connaîtrez, pauvre oisillon, 8
50 Après la cage, où l'ennui siége, 8
La jeunesse, ce tourbillon ; 8
L'amour, ce lacs ; l'espoir, ce piége. 8
Par les monts, les bois et les prés, 8
L'oeil éteint, l'âme inassouvie, 8
55 Sombre forçat, vous traînerez 8
La longue chaîne de la vie. 8
Pour vous, le temps, en son décours, 8
Versera de ses mains funèbres 8
Sur la banalité des jours, 8
60 L'épouvantement des ténèbres. 8
Puis, vieil enfant, vous sortirez 8
Triste et nu de la vie amère ; 8
Mais le berceau que vous aurez 8
Sera froid, sinistre et sans mère !… 8
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