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BOU_2/BOU59
Louis BOUILHET
POÉSIES. FESTONS ET ASTRAGALES
1859
A M. CLOGENSON
CONSEILLER HONORAIRE
Si quelque ennui vient me saisir,
De mon logis, j'ai le plaisirlb
De contempler mille gouttières,
Sans compter quatre cimetières
Entre lesquels, dans mon loisir,
J'aurai l'agrément de choisir !
J. GLOGENSON.
Ce siècle, qui veut tout changer, 8
Donne à Thémis ses invalides ; 8
Ce n'est point à moi de juger 8
Si ces réformes sont solides. 8
5 Il me semblait (voyez un peu 8
Comme il est bon qu'on m'avertisse !) 8
Que le juge plus près de Dieu 8
Était plus sûr dans sa justice. 8
L'âge avait son autorité 8
10 Pour le crime échappé des bouges ! 8
Les cheveux blancs, en vérité, 8
Faisaient bien sur les robes rouges ! 8
N'en parlons plus, — joyeux martyr, 8
Vous bénissez votre aventure, — 8
15 Et la muse a fait, pour sortir, 8
Éclater la magistrature. 8
Elle va, par vaux et par monts, 8
Ouvrir son aile plus valide ; 8
Du poète que nous aimons 8
20 La robe était la chrysalide ; 8
Et vous quittez ce tribunal 8
Où votre âme fut prisonnière, 8
Gai, comme un enfant matinal, 8
Qui fait l'école buissonnière. 8
25 Les dieux velus, les dieux malins, 8
Aux forêts ont chanté victoire, 8
Voyant par-dessus les moulins, 8
Voler la toque du prétoire ! 8
L'un du gros code s'est muni, 8
30 L'autre est l'huissier qui dit : « Silence ! » 8
Et les oiseaux ont fait leur nid 8
Aux deux plateaux de la balance ! 8
N'en parlons plus, c'est pour le mieux, 8
Puisque la loi que je déplore, 8
35 Des morceaux d'un juge trop vieux, 8
Fait un poëte jeune encore. 8
Hélas ! notre printemps à nous, 8
Suinte la tristesse et la brume ; 8
Apollon faiblit des genoux, 8
40 Et la muse à trente ans s'enrhume 8
Chantez toujours ; votre gaîté, 8
Fait honte à la pâle jeunesse, 8
Qui va changeant, pour sa santé, 8
L'eau d'Hyppocrène en lait d'ânesse ! 8
45 Que j'aime mieux ce rude hiver, 8
Où le vent de la fantaisie 8
Fait pétiller, comme un feu clair, 8
Tant d'esprit et de poésie ! 8
Votre Pégase guilleret, 8
50 De ses grelots, jette à la terre 8
Plus d'une note qu'on dirait 8
Prise au carillon de Voltaire ! 8
Dans vos huitains, calmes et beaux, 8
Avec l'autorité d'un sage, 8
55 Vous plaisantez sur ces tombeaux 8
Qui blanchissent au voisinage. 8
Enfant joyeux d'un siècle fort, 8
A ce trait on vous peut connaître, 8
Quand, pour voir de plus près la mort, 8
60 Vous vous penchez à la fenêtre ; 8
Et, comme un Tircis, rose et frais, 8
Narguant les craintes sépulcrales, 8
Vous entiez sous les noirs cyprès, 8
Le chalumeau des pastorales. 8
65 Salut, à vos soixante et dix ! 8
Car si la logique est certaine, 8
En vérité, je vous le dis, 8
Vous dépasserez la centaine ! 8
Et vous pourrez, selon le mot 8
70 Du bon poëte que j'adore, 8
Sur le tombeau de plus d'un sot 8
Plus d'une fois compter l'aurore ! 8
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