Métrique en Ligne
BOU_2/BOU48
Louis BOUILHET
POÉSIES. FESTONS ET ASTRAGALES
1859
MARÉE MONTANTE
A P. M.
Dans ma chambre, au bord de la plage, 8
Frère, je rêvais l'autre nuit, 8
Et la lune, sur mon visage, 8
Doux fantôme, glissait sans bruit ; 8
5 La blanche lueur qui pénètre 8
Tremblait aux rideaux suspendus ; 8
Une voix chante à ma fenêtre, 8
Une voix aux sons inconnus. 8
Jusqu'à moi, dans l'ombre, elle arrive 8
10 Frémissante et pure à la fois, 8
Comme la vague sur la rive, 8
Comme la brise dans les bois : 8
« Éveille-toi ! fils de la terre, 8
» Je suis la nymphe aux verts réseaux, 8
15 » J'habite l'antre solitaire 8
» Où bruissent les grandes eaux. 8
» J'attache ma tunique bleue 8
» Avec des perles de corail ; 8
» Deux poissons à la large queue 8
20 » Font voler ma conque d'émail. 8
» Pour orner ma gorge d'ivoire 8
» Et mes longs cheveux ruisselants, 8
» J'ai des couronnes d'algue noire 8
» Et des colliers de galets blancs. 8
25 » Ma trompe est pleine de murmures 8
» Qui du ciel charment les palais, 8
» Et je prends, quand les nuits sont pures, 8
Les étoiles dans mes filets. 8
» Éveille toi ! je suis la reine, 8
30 » La reine aux immenses états ! 8
» Je marche fière et souveraine, 8
» Portant le monde dans mes bras ! 8
» Les destins ont mis mon empire 8
» Partout où sonne l'Océan ; 8
35 » L'azur des flots est mon sourire, 8
» Et ma colère est l'ouragan ! 8
» Loin des climats où sont les hommes, 8
» Pour le nautonnier libre et fort, 8
» J'ai des villes et des royaumes 8
40 » Dont on voit luire les toits d'or. 8
» Je garde mes îles fécondes 8
A qui franchit les vastes flots, 8
D Car j'aime à bercer, sur mes ondes, 8
Le navire et les matelots. 8
45 » Et ceux qu'entraînent les naufrage, 8
» Je les emporte dans mes bras, 8
» Jusqu'au pays des coquillages 8
» Que le monde ne connaît pas. 8
» On les a Cru morts, dans leurs villes ; 8
50 » Ils ont des palais de cristal, 8
» Ensemble, sous les flots tranquilles, 8
» Ils causent du pays natal. 8
» Ils sont rois des vallons humides, 8
» Aux lieux profonds et reculés 8
55 » Où viennent les phoques timides 8
» Bondir dans les varechs salés. 8
» Au bruit lointain des vents sonores, 8
» De belles vierges aux yeux verts, 8
» Sous des grottes de madrépores, 8
60 » Les attirent par leurs concerts. 8
» Ils ont des champs et des collines 8
» Que tapisse le fucus frais, 8
» Et vont cueillant mes perles fines 8
» Aux branches rouges des forêts… » 8
65 Et la voix, plus faible résonne, 8
Mêlée au murmure des vents ; 8
De ma fenêtre qui frissonne 8
J'écartai les rideaux mouvants. 8
La nuit, sur la plaine ondoyante, 8
70 Comme un riche dôme, éclatait, 8
Tandis qu'écumeuse et bruyante, 8
Sur la grève la mer montait ! 8
Et c'est le chant qu'en leur jeune âge 8
Ont entendu les matelots, 8
75 Quand ils jouaient sur le rivage, 8
Ou qu'ils dormaient au bruit des flots. 8
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