Métrique en Ligne
BOU_2/BOU42
Louis BOUILHET
POÉSIES. FESTONS ET ASTRAGALES
1859
A MATHURIN RÉGNIER
Vieux Mathurin, poëte aux âpres mélodies, 12
J'aime de ton bon vers les allures hardies, 12
Quand il va débraillé, sans grègues, sans chapeau, 12
Ainsi qu'un franc buveur, au sortir du caveau ! 12
5 Tu savais, ô Régnier, que l'ardente satire 12
A besoin de piment pour allumer son ire ! 12
Ton robuste Apollon ne connut pas cet art 12
De jeter sur les mots des masques et du fard. 12
Il aimait, aux lueurs d'une fauve lanterne, 12
10 S'accouder, à son aise, au banc de la taverne, 12
Et, la bouteille en main, dire leur fait aux gens, 12
Sans crainte des rhéteurs, des sots, ni des sergents. 12
Comme une artère chaude et de sang inondée, 12
A chacun de tes vers on sent battre l'idée, 12
15 Et dans ta haute phrase où la colère bout, 12
Tout est vivant, tout marche, et se dresse debout. 12
Oh ! que j'aime à te voir, quand, le poing sur la hanche, 12
De Ronsard bafoué, seul, tu prends la revanche, 12
Et de ton vers penseur flagelles sur le dos 12
20 Le Malherbe qui pèse et qui gratte des mots ! 12
Cependant que déjà, maître, ta main hardie 12
Aux Molières futurs taille la comédie, 12
Et, des voiles bénins dégageant ton tableau, 12
Prépare des rougeurs au pudique Boileau ! 12
25 Certes, l'art des savants et de la pédantaille, 12
Comme un manteau trop court, n'allait pas à ta taille, 12
Carton libre génie, avec ses pieds d'airain, 12
Quand il entre en un vers, y marche en souverain, 12
Et parfois, sans façon, dans ta franche satire, 12
30 S'entrouvre l'hiatus, comme un éclat de rire. 12
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