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BOU_2/BOU39
Louis BOUILHET
POÉSIES. FESTONS ET ASTRAGALES
1859
LE BARBIER DE PÉKIN
A MON AMI ALFRED FOULONGNE
Hao ! Hao ! c'est le barbier 8
Qui secoue au vent sa sonnette ! 8
Il porte au dos, dans vin panier, 8
Ses rasoirs et sa savonnette. 8
5 Le nez camard, les yeux troussés, 8
Un sarrau bleu, des souliers jaunes, 8
Il trotte, et fend les flots pressés 8
Des vieux bonzes, quêteurs d'aumônes. 8
Au bruit de son bassin de fer, 8
10 Le marchand qui vient sur sa porte, 8
Sent courir, le long de sa chair, 8
Une démangeaison plus forte ! 8
Toute la rue est en suspens… 8
Et les mèches patriarcales ! 8
15 Se dressent, comme des serpents 8
Qu'on agace avec des cymbales ! 8
C'est en plein air, sous le ciel pur, 8
Que le barbier met sa boutique : 8
Les bons clients, au pied du mur, 8
20 Prennent une pose extatique. 8
Tous, d'un mouvement régulier 8
Vont clignant leurs petits yeux louches ; 8
Ils sont là, comme en espalier, 8
Sous le soleil et sous les mouches. 8
25 Souriant, les doigts allongés, 8
Il flatte les épaules nues, 8
Et ses attouchements légers 8
Ont des puissances inconnues : 8
Le patient, dans son sommeil, 8
30 Part pour le pays bleu des rêves ; 8
Il voit la lune et le soleil 8
Danser, sur de lointaines grèves. 8
il écoute le rossignol, 8
Roulant des notes, sous les branches ; 8
35 Ou, par les cieux, il suit au vol 8
Un couple d'hirondelles blanches. 8
Cependant, glissant sur la peau, 8
La lame où le jour étincelle 8
Court, plus rapide qu'un oiseau 8
40 Qui frôle l'onde avec son aile ; 8
Et quand le crâne sans cheveux 8
Luit comme une boule d'ivoire, 8
Le maître, sur son doigt nerveux, 8
Tourne, au sommet, la houppe noire. 8
45 Chacun s'arrête : le barbier 8
Sait mainte histoire inattendue ; 8
Ni mandarin, ni bachelier 8
N'a la langue aussi bien pendue. 8
La foule trépigne, à l'entour, 8
50 Et, par instants, se pâmant d'aise, 8
Chaque auditeur, comme un tambour, 8
Frappe, à deux mains, son ventre obèse. 8
Mais, point de trêve ! il faut marcher ! 8
Debout ! comme une tête ronde, 8
55 Son bon rasoir, sans s'ébrécher, 8
En trois coups raserait le monde ! 8
Toujours plus beau, toujours plus fort, 8
En gardant ses libres allures, 8
Il fauchera, jusqu'à la mort, 8
60 Les barbes et les chevelures ! 8
Puis, dans sa tombe on placera 8
Brosses, bassins et savonnettes, 8
Et, sous la nue, il frisera 8
La tresse blonde des comètes ! 8
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