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BOU_2/BOU19
Louis BOUILHET
POÉSIES. FESTONS ET ASTRAGALES
1859
LA VIERGE DE SUNAM
On dit qu'au vieux David, pâle et transi par l'âge, 12
Tandis qu'autour de lui fumaient les trépieds d'or, 12
Et que des grands lions la dépouille sauvage 12
S'enroulait à son sein, sans l'échauffer encor, 12
5 Pour réveiller le maître, en sa couche glacée, 12
Un serviteur fidèle, un soir, vint amenant 12
Superbe et demi-nue, et la tète baissée, 12
La brune Abizaïg, la vierge de Sunam ; 12
Sur sa gorge ondoyante et dans sa chevelure 12
10 On répandit les flots de la myrrhe et du nard, 12
Comme la jeune épouse, elle ôta sa ceinture 12
Et se glissa, timide, aux côtés du vieillard ; 12
Des filles d'Orient aux formes enivrantes 12
C'était la plus ardente et la plus belle à voir, 12
15 Avec ses longs cheveux qu'en vagues odorantes 12
Sur le grand moribond, elle laissa pleuvoir ! 12
Les tympanons d'airain frissonnaient autour d'elle, 12
Tandis que, suspendue aux lèvres du vieux roi, 12
La vierge souriait, comme la fleur fidèle 12
20 Dont les bras embaumés pressent un tombeau froid ! 12
Ut versant à l'entour, les parfums de la nue, 12
La nuit, la nuit a vu, de ses prunelles d'or, 12
Ce qu'il faut de baisers et d'ardeur inconnue 12
Pour rallumer une âme et réchauffer un mort ! 12
25 Vierge, je ne suis pas le vieux roi centenaire ! 12
Le temps n'a point encor fait blanchir mes cheveux, 12
A peine quelques jours, j'ai paru sur la terre, 12
Et je vois mon berceau, quand je tourne les yeux ! 12
Pourtant, comme un vieillard, j'ai l'âme froide et nue, 12
30 Voilà que tout mon cœur est éteint maintenant, 12
Et je m'en vais mourir, car tu n'es pas venue, 12
O brune Abizaïg, ô vierge de Sunam ! 12
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