Métrique en Ligne
BOR_1/BOR29
Pétrus BOREL
Rapsodies
1832
PATRIOTES
Nuit du 28 au 29
GRANDE SEMAINE
Qu'est-ce ? un roi qui s'éteint, un empire qui tombe ?
Un poids plus ou moins lourd qu'on jette dans la tombe…
GÉRARD.
Les grands ne nous semblent grands
que parce que nous sommes à genoux.
Eugène SCRIBE.
I
Lune, témoin de tant de gloire, 8
As-tu marqué dans ta mémoire 8
Jamais une plus sainte nuit ? 8
Sur âmes plus silencieuses, 8
5 Sur cités plus majestueuses, 8
Jamais ton regard a-t-il lui ! 8
Non jamais, Sagonte nouvelle, 8
Paris n'eut angoisse plus belle ; 8
Paris n'eut citoyens plus beaux, 8
10 Tous agissants comme des ombres, 8
Muets, dans de sanglants décombres, 8
Sanglants, fossoyant des tombeaux. 8
Pas une lueur, pas un cierge, 8
Plus sombre qu'une forêt vierge 8
15 Paris est un affreux chaos, 8
Où, lorsqu'un de tes rayons glisse, 8
Il éclaire un mur, une lice, 8
Rouges du sang de ses héros ; 8
Ou caresse un cadavre hâve, 8
20 Au crâne entrouvert, à l'œil cave, 8
Broyé sous un flot de pavés, 8
Nu ; les dépouilles des infâmes 8
Sont promenés en oriflammes 8
Au haut des sabres abreuvés. 8
25 Puis, parfois, ce profond silence, 8
Heurté, rompu par une lance, 8
Des haches, des poignards croisés, 8
Par le cri de la sentinelle, 8
Ou par la fuite d'un rebelle 8
30 A travers les casques brisés. 8
Puis, parfois, de l'artillerie 8
La foudre ; la mousqueterie, 8
Les longs hourras du fantassin ; 8
Cris de mort, blasphèmes, alarmes, 8
35 Pleurs, râlement, appel aux armes, 8
Se découpant sur le tocsin. 8
II
Partout, pères conscrits et Vieux de la Montagne, 12
Enfants nés sous le joug, roses filles, compagnes, 12
Or et haillon, unis pour un commun effort, 12
40 La fatigue, l'espoir semant des barricades. 12
Voyez, sur ces balcons, marcher des estocades, 12
Car chaque maison est un fort, 8
Chaque meuble, une arme guerrière, 8
Chaque porte, une meurtrière, 8
45 Et chaque toit, un arsenal. 8
Paris, pour la race qui prie 8
Et poignarde, dans sa furie 8
N'est plus qu'un cratère infernal. 8
III
Voyez-vous cette enfant que mal d'amour tourmente ? 12
50 Elle tresse un ruban pour lui ; joyeuse amante ! 12
Comptant sur son retour elle écoute des pas. 12
Puisse tu paix demain n'être pas disparue ! 12
Ignore encor longtemps qu'au détour de la rue 12
Ton amant râle le trépas. 8
IV
55 Quelle est cette masse noirâtre 8
Où toute rumeur vient s'abattre, 8
Manoir sans feux et sans valets, 8
Sans plaisirs aux couches désertes, 8
Sans gardes jetant des alertes ? 8
60 De nos tyrans c'est le palais. 8
Ce roi, vieux débauché qu'une madone incline, 12
A déserté nos murs pour Saint-Cloud la colline, 12
Complice de sa joie ; et là, Néron caduc, 12
Il a, sur la terrasse, apporté sa litière, 12
65 Pour contempler des siens la boucherie entière 12
Qu'il vient d'ordonner à son duc. 8
Content de ton œuvre hardie, 8
Savoure bien cet incendie : 8
Va, rien ne manque à ton festin ; 8
70 Entends les clameurs de la mère 8
Appelant, d'une voix amère, 8
Ces fils moissonnés par l'airain ! 8
Enfin pâlit la nuit, et l'aube va renaître ; 12
Accourez tous, varlets, pages, votre vieux maître 12
75 Veut prolonger encor sa volupté de sang ; 12
Vos trompes et vos chiens, vos destriers do chasse ; 12
Allons, que dans son poing son lourd couteau s'enchâsse, 12
Et s'abreuve dans quelque flanc ? 8
V
Le peuple, après telle journée, 8
80 Ignore encor sa destinée 8
Et le sort qui l'attend demain, 8
Qui des deux sera le rebelle, 8
Et si la liberté fidèle 8
Viendra s'abattre en son chemin. 8
85 Là, comme un patient que ronge la souffrance, 12
Dans sa brûlante fièvre il évoque la France, 12
Lafayette, un Brutus, 6
Puis il compte ses bras, ses bourreaux ; puis encore 12
Il retombe assoupi sans remarquer l'aurore ; 12
90 Mais lorsqu'il releva ses regards abattus, 12
Le soleil était tricolore ! 8
logo du CRISCO logo de l'université