Métrique en Ligne
BOR_1/BOR13
Pétrus BOREL
Rapsodies
1832
RAPSODIES
Isolement
À GÉRARD, poète.
Les grand’s forêts renouvelées
La solitude des vallées
Clôses d’effroy tout à l’entour !
Ronsard.
Sous le soleil torride au beau pays créole, 12
Où l’Africain se courbe au bambou de l’Anglais, 12
Encontre l’ouragan, le palmier qui s’étiole 12
Aux bras d’une liane unit son bois épais. 12
5 En nos antiques bois, le gui, saint parasite, 12
Au giron d’une yeuse et s’assied et s’endort ; 12
Mêlant sa fragile herbe, et subissant le sort 12
Du tronc religieux qui des autans l’abrite. 12
Gui ! liane ! palmier ! mon âme vous envie ! 12
10 Mon cœur voudrait un lierre et s’enlacer à lui. 12
Pour passer mollement le gué de cette vie, 12
Je demande une femme, une amie, un appui ! 12
— Un ange d’ici-bas ?… une fleur, une femme ?… 12
Barde, viens, et choisis dans ce folâtre essaim 12
15 Tournoyant au rondeau d’un preste clavecin. — 12
Non ; mon cœur veut un cœur qui comprenne son âme. 12
Ce n’est point au théâtre, aux fêtes, qu’est la fille 12
Qui pourrait sur ma vie épancher le bonheur : 12
C’est aux champs, vers le soir, groupée en sa mantille, 12
20 Un Werther à la main sous le saule pleureur. 12
Ce n’est point une brune aux cils noirs, l’air moresque ; 12
C’est un cygne indolent ; une Ondine aux yeux bleus 12
Aussi grands qu’une amande, et mourants, soucieux ; 12
Ainsi qu’en réfléchit le rivage tudesque. 12
25 Quand viendra cette fée ? — En vain ma voix l’appelle ! 12
Apporter ses printemps à mon cœur isolé. 12
Pourtant jusqu’aux cyprès je lui serais fidèle ! 12
Sur la plage toujours resterai-je esseulé ? 12
Sur mon toit le moineau dort avec sa compagne ; 12
30 Ma cavale au coursier a donné ses amours. 12
Seul, moi, dans cet esquif, que nul être accompagne, 12
Sur le torrent fougueux je vois passer mes jours. 12
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