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BOI_6/BOI36
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
ODES, ÉPIGRAMMES ET AUTRES POÉSIES
1664-1704
ODE
sur la prise de Namur
Quelle docte et sainte ivresse 7
Aujourd'hui me fait la loi ? 7
Chastes Nymphes du Permesse, 7
N'est-ce pas vous que je voi ? 7
5 Accourez, Troupe savante ; 7
Des sons que ma lyre enfante 7
Ces arbres sont réjouis ; 7
Marquez-en bien la cadence ; 7
Et vous, Vents, faites silence : 7
10 Je vais parler de LOUIS. 7
Dans ses chansons immortelles, 7
Comme un aigle audacieux, 7
Pindare, étendant ses ailes, 7
Fuit loin des vulgaires yeux ; 7
15 Mais, ô ma fidèle lyre, 7
Si, dans l'ardeur qui m'inspire, 7
Tu peux suivre mes transports ; 7
Les chênes des monts de Thrace 7
N'ont rien ouï, que n'efface 7
20 La douceur de tes accords. 7
Est-ce Apollon, et Neptune, 7
Qui sur ces rocs sourcilleux, 7
Ont, compagnons de fortune, 7
Bâti ces murs orgueilleux ? 7
25 De leur enceinte fameuse 7
La Sambre, unie à la Meuse, 7
Défend le fatal abord ; 7
Et par cent bouches horribles, 7
L'airain sur ces monts terribles 7
30 Vomit le fer et la mort ; 7
Dix mille vaillants Alcides, 7
Les bordant de toutes parts, 7
D'éclairs, au loin homicides, 7
Font pétiller leurs remparts ; 7
35 Et dans son sein infidèle 7
Partout la terre y recèle 7
Un feu prêt à s'élancer, 7
Qui soudain perçant son gouffre, 7
Ouvre un sépulcre de soufre 7
40 A quiconque ose avancer. 7
Namur, devant tes murailles, 7
Jadis la Grèce eût, vingt ans, 7
Sans fruit, vu les funérailles 7
De ses plus fiers combattants. 7
45 Quelle effroyable puissance 7
Aujourd'hui pourtant s'avance, 7
Prête à foudroyer tes monts ! 7
Quel bruit, quel feu l'environne ! 7
C'est Jupiter en personne, 7
50 Ou c'est le vainqueur de Mons. 7
N'en doute point, c'est lui-même : 7
Tout brille en lui, tout est roi. 7
Dans Bruxelles, Nassau blême 7
Commence à trembler pour toi. 7
55 En vain, il voit le Batave, 7
Désormais docile esclave, 7
Rangé sous ses étendards ; 7
En vain, au Lion belgique, 7
Il voit l'Aigle germanique 7
60 Uni sous les Léopards ; 7
Plein de la frayeur nouvelle 7
Dont ses sens sont agités, 7
A son secours il appelle 7
Les peuples les plus vantés : 7
65 Ceux-là viennent du rivage 7
Où s'enorgueillit le Tage 7
De l'or qui roule en ses eaux ; 7
Ceux-ci, des champs où la neige 7
Des marais de la Norvège 7
70 Neuf mois couvre les roseaux… 7
Mais qui fait enfler la Sambre ? 7
Sous les Jumeaux effrayés, 7
Des froids torrents de décembre 7
Les champs partout sont noyés ; 7
75 Cérès s'enfuit, éplorée 7
De voir en proie à Borée 7
Ses guérets d'épis chargés ; 7
Et sous les urnes fangeuses 7
Des Hyades orageuses 7
80 Tous ses trésors submergés. 7
Déployez toutes vos rages, 7
Princes, vents, peuples, frimas ; 7
Ramassez tous vos nuages, 7
Rassemblez tous vos soldats ; 7
85 Malgré vous Namur en poudre 7
S'en va tomber, sous la foudre 7
Qui dompta Lille, Courtrai, 7
Gand, la superbe espagnole, 7
Saint-Omer, Besançon, Dôle, 7
90 Ypres, Mastricht, et Cambrai. 7
Mes présages s'accomplissent : 7
Il commence à chanceler ; 7
Sous les coups qui retentissent 7
Ses murs s'en vont s'écrouler ; 7
95 Mars en feu, qui les domine, 7
Souffle à grand bruit leur ruine ; 7
Et les bombes, dans les airs 7
Allant chercher le tonnerre, 7
Semblent, tombant sur la terre, 7
100 Vouloir s'ouvrir les enfers. 7
Accourez, Nassau, Bavière, 7
De ces murs l'unique espoir. 7
A couvert d'une rivière, 7
Venez, vous pouvez tout voir. 7
105 Considérez ces approches ; 7
Voyez grimper sur ces roches 7
Ces athlètes belliqueux ; 7
Et dans les eaux, dans la flamme, 7
LOUIS, à tout donnant l'âme, 7
110 Marcher, courir avec eux. 7
Contemplez dans la tempête 7
Qui sort de ces boulevards, 7
La plume qui sur sa tête 7
Attire tous les regards : 7
115 A cet astre redoutable, 7
Toujours un sort favorable 7
S'attache dans les combats : 7
Et toujours, avec la Gloire, 7
Mars, amenant la Victoire, 7
120 Vole, et le suit à grands pas. 7
Grands défenseurs de l'Espagne ; 7
Montrez-vous, il en est temps. 7
Courage ! vers la Mehagne 7
Voilà vos drapeaux flottants. 7
125 Jamais ses ondes craintives 7
N'ont vu sur leurs faibles rives 7
Tant de guerriers s'amasser. 7
Courez donc… Qui vous retarde ? 7
Tout l'univers vous regarde ; 7
130 N'osez-vous la traverser ? 7
Loin de fermer le passage 7
A vos nombreux bataillons, 7
Luxembourg a du rivage 7
Reculé ses pavillons. 7
135 Quoi ! leur seul aspect vous glace ! 7
Où sont ces chefs pleins d'audace, 7
Jadis si prompts à marcher, 7
Qui devaient, de la Tamise, 7
Et de la Drave soumise, 7
140 Jusqu'à Paris nous chercher ? 7
Cependant, l'effroi redouble 7
Sur les remparts de Namur ; 7
Son gouverneur, qui se trouble, 7
S'enfuit sous son dernier mur ; 7
145 Déjà, jusques à ses portes 7
Je vois monter nos cohortes, 7
La flamme et le fer en main ; 7
Et sur les monceaux de piques, 7
De corps morts, de rocs, de briques, 7
150 S'ouvrir un large chemin. 7
C'en est fait. Je viens d'entendre 7
Sur ces rochers éperdus 7
Battre un signal pour se rendre. 7
Le feu cesse Ils sont rendus ! 7
155 Dépouillez votre arrogance, 7
Fiers ennemis de la France ; 7
Et, désormais gracieux, 7
Allez, à Liège, à Bruxelles, 7
Porter les humbles nouvelles 7
160 De Namur pris à vos yeux. 7
Pour moi, que Phébus anime 7
De ses transports les plus doux, 7
Rempli de ce Dieu sublime, 7
Je vais, plus hardi que vous, 7
165 Montrer que sur le Parnasse, 7
Des bois fréquentés d'Horace, 7
Ma Muse dans son déclin, 7
Sait encor les avenues, 7
Et des sources inconnues 7
170 A l'auteur du Saint-Paulin. 7
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