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BEN_1/BEN89
Isaac de BENSERADE
Poésies de Benserade
1697
STANCES, SONNETS, ÉPIGRAMMES, ETC.
STANCES.
Plainte d’un Amant à sa Maîtresse.
LISEZ-LES devant mon rival, 8
Ces vers où je me plains de l’humeur dont vous estes ; 12
Et riant avec luy du sujet de mon mal, 12
Songez quel honneur vous vous faites. 8
5 S’il vous aime, il n’aimera point 8
Cette humeur, quoy-qu’enfin il y trouve son compte ; 12
Et je ne pense pas que jamais sur ce point 12
Vous luy puissiez faire un bon conte. 8
Dites-luy qu’avec peu d’effort 8
10 Vous rompez les liens d’une amour infinie ; 12
S’il en rit de bon cœur et qu’il vous aime fort, 12
Il est de bonne compagnie. 8
Il en a beau faire le fin, 8
Si ma chute luy plaît, l’exemple l’importune ; 12
15 Quelque établi qu’il soit, peut-estre mon chagrin 12
Fait trembler sa bonne fortune. 8
Quand l’objet est léger et vain, 8
Le dernier soûpirant se doit tenir alerte ; 12
Qu’auroit-il plus que moy ? j’ay fait le même gain, 12
20 Il peut faire la même perte. 8
Chacun débite sa douceur, 8
Chacun, en fait d’amour, se supplante et se choque ; 12
Et je gage déjà que de mon successeur 12
Quelqu’un regarde la défroque. 8
25 À vôtre gré prenez l’essor, 8
Je n’en murmure point, ce n’est plus mon affaire ; 12
Mais, entre nous, combien prétendez-vous encor 12
Avoir d’inconstances à faire ? 8
Tout passe, les attraits s’en vont ; 8
30 Et quand vous n’aurez plus cette grande jeunesse, 12
Eussiez-vous, s’il se peut, un caprice plus pront, 12
On vous gagnera de vîtesse. 8
S’il reste vers ces derniers temps 8
Quelque trait à vos yeux de leurs traits adorables, 12
35 Ils vous feront au moins tout autant d’inconstans 12
Que vous faites de misérables. 8
Pour vous payer, on vous rendra 8
Cette infidélité qui n’épargnoit personne ; 12
Et de vôtre printemps la faute deviendra 12
40 Le supplice de vôtre automne. 8
Vous verrez avecque rougeur 8
Vos charmes ne donner que de foibles atteintes ; 12
Et nous pourrons bien voir quelque mépris vengeur 12
Naître de vos grâces éteintes. 8
45 Mais malgré le dépit que j’ay, 8
Le ciel garde pourtant vôtre beauté parfaite ; 12
Encore que je sois un amant outragé, 12
Je désire estre un faux prophète. 8
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