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BEN_1/BEN88
Isaac de BENSERADE
Poésies de Benserade
1697
STANCES, SONNETS, ÉPIGRAMMES, ETC.
Regrets.
AINSI Calinice, dolent, 8
Formoit en son mal violent 8
Moins de paroles que de larmes, 8
Quand, malgré tout autre pouvoir, 8
5 Son amour opposoit ses armes 8
À celles de son désespoir. 8
Destins ennemis et jaloux, 8
À quelle fin m’ordonnez-vous 8
D’aimer avec persévérance, 8
10 Permettant pour mes déplaisirs, 8
Que la mort de mon espérance 8
Laisse la vie à mes désirs ? 8
Que rigoureuses sont vos loix 8
Astres impiteux à ma voix, 8
15 Ou que mon offense est extrême ! 8
Vous voyez sans me secourir, 8
Qu’on me sépare de moy-même, 8
Et vous m’empêchez de mourir. 8
Au moins cette grande beauté 8
20 Sçauroit alors la cruauté 8
Que souffre mon âme contrainte ; 8
Et si l’excès de ma douleur 8
Cause le défaut de ma plainte, 8
Ma mort luy diroit mon malheur. 8
25 Dieux ! pour l’honneur de vos autels, 8
Venez condamner les mortels 8
Aussi-bien que mon cœur aux flâmes ; 8
Vos offices vous sont ostez, 8
On veut assujettir les âmes, 8
30 Et disposer des volontez. 8
La foy ni l’inclination 8
N’obligent pas l’affection, 8
Sans que la grandeur l’importune ; 8
Et par un malheur de nos jours, 8
35 Les dignitez de la fortune 8
Sont les doux charmes de l’amour. 8
Amour, quelle est ta déité, 8
Si de la fortune agité 8
Contr’elle enfin tu te consommes ? 8
40 C’est la maîtresse de ces lieux, 8
Qui ne régnant que sur les hommes, 8
N’a point d’empire sur les Dieux. 8
Tu cèdes aux rigueurs du sort, 8
Et je reste sans reconfort 8
45 Aux injures de ta défaite ; 8
Je te voy, superbe vainqueur, 8
Contraint de faire la retraite, 8
Mais c’est toûjours dedans mon cœur. 8
L’image de perfections, 8
50 Qui cause mes afflictions, 8
Seule me console et m’attire ; 8
Souffrant avec tant de raison, 8
Je favorise mon martyre 8
Et déteste ma guérison. 8
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