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BEN_1/BEN77
Isaac de BENSERADE
Poésies de Benserade
1697
STANCES, SONNETS, ÉPIGRAMMES, ETC.
À Madame de Hautefort, pour le Roy
STANCES.
OBJET aimable et vertueux, 8
Comme un amant respectueux, 8
Je mets à vos pieds mon empire ; 8
Puisque rien ne vous le défend, 8
5 Permettez qu’un enfant soupire 8
Et se plaigne à vous d’un enfant. 8
Vous possédez mon jeune cœur, 8
Et déjà vôtre éclat vainqueur 8
Impérieusement le brave ; 8
10 Mes fers sont nez avecque moy, 8
Et vos yeux m’ont fait leur esclave, 8
Quand les Dieux m’ont fait vôtre Roy. 8
Mon père eut le même transport, 8
Et m’a laissé, quand il est mort, 8
15 Cette belle flâme en partage : 8
Je l’ay trouvée entre ses biens, 8
Et j’en préfère l’héritage 8
À tous les sceptres que je tiens. 8
Ce monarque si redouté, 8
20 Qui vous donna sa liberté, 8
M’inspira le soin de vous plaire 8
En me communiquant le jour, 8
Car ce n’est point de par ma mère, 8
Que je suis sujet à l’amour. 8
25 Il eût fait dans sa passion. 8
Des leçons de discrétion, 8
Pour les âmes les mieux éprises ; 8
Et moy, brûlant de même ardeur, 8
Vous sçavez si mes entreprises 8
30 Effarouchent vôtre pudeur. 8
De la reine et de vous j’apprends 8
Des préceptes bien différens, 8
Qu’il ne faut pas que je dédaigne : 8
Elle, se faisant obéir, 8
35 M’instruit comme il faut que je règne ; 8
Et vous m’apprenez à servir. 8
J’auray sujet d’être insolent, 8
Et seray le plus opulent 8
De tous les Princes qu’on révère, 8
40 Si quelque jour vous me livrez 8
Ce que vous deviez à mon père 8
Et tout ce que vous me devrez. 8
Jusqu’icy mes maux me sont doux. 8
Aussi m’accorderiez-vous 7
45 Une très-inutile grâce : 8
Mais qu’un jour je seray content 8
Si vôtre cruauté se passe, 8
Et si vôtre beauté m’attend ! 8
Gardez vôtre cœur pour le mien, 8
50 On peut faire trop tôt du bien, 8
Comme trop tard on en peut faire ; 8
Et vous avez encor du tems 8
À méditer sur le salaire 8
Qu’on doit à des feux si constans. 8
55 Ainsi parloit à des beaux yeux, 8
Un Roy pour qui les siècles vieux 8
Porteront jalousie au nôtre, 8
Un enfant qui nous sert d’appuy, 8
Blessé dans le cœur par un autre, 8
60 Moins aimable et moins beau que luy. 8
Pour flatter le mal qui l’a pris, 8
À la honte des beaux esprits, 8
Il n’a choisi que ma personne ; 8
J’explique ses premiers désirs 8
65 Et suis cause que Boisset donne 8
De l’air à ses premiers soupirs. 8
Je m’estime un peu malheureux, 8
De faire des vers amoureux, 8
Contre un vœu dont il me dispense ; 8
70 Mais quoique je sois combattu, 8
J’en feray tant que l’Innocence 8
Fera l’amour à la Vertu. 8
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