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BEN_1/BEN75
Isaac de BENSERADE
Poésies de Benserade
1697
STANCES, SONNETS, ÉPIGRAMMES, ETC.
À une Belle insensible qui demandoit des vers.
STANCES.
DISPENSEZ-MOY,Belle insensible, 8
De contenter vôtre désir ; 8
Ne m’ordonnez pas le plaisir 8
De rendre ma peine visible ; 8
5 Révoquez ce commandement, 8
Qui peut augmenter mon tourment, 8
Sans accroître vôtre puissance. 8
Je ne sçaurois vous obéir, 8
De peur que mon obéissance 8
10 Ne vous oblige à me haïr. 8
Je recevrois beaucoup de gloire 8
De vous présenter de mes Vers, 8
Et de laisser à l’Univers 8
Des marques de vôtre Victoire ; 8
15 Mais, dans cet excès de douleur 8
Où me réduit mon grand malheur, 8
Je voy bien qu’il me faut contraindre, 8
Et qu’il vaut mieux ne point parler, 8
Ne pouvant parler sans me plaindre 8
20 Des feux dont je me sens brûler. 8
Laissons le récit déplorable 8
Du sort d’un malheureux amant ; 8
L’on ne trouve rien de charmant 8
Dans l’entretien d’un misérable. 8
25 Le triste objet de ses travaux, 8
Le nombre infini de ses maux, 8
Le cours éternel de ses larmes, 8
Ses désespoirs, ses déplaisirs, 8
Ne vous feroient point voir de charmes 8
30 Qui pussent flatter vos désirs. 8
Quel objet vous peut-il dépeindre, 8
Dans les supplices qu’il ressent. 8
Qu’un tourment sensible et pressant 8
D’une ardeur qu’il ne peut éteindre ? 8
35 Mais lors qu’il vous seroit offert, 8
Le tableau sanglant de ses fers 8
Ne serviroit qu’à vous déplaire, 8
Et l’excès de sa passion, 8
Exciteroit vôtre colère, 8
40 Et non vôtre compassion. 8
Vous ne verriez dans ses pensées 8
Que de tragiques mouvemens, 8
Et les mortels ressentimens 8
De ses infortunes passées ; 8
45 Vous n’entendriez dans son transport 8
Que les vœux qu’il fait à la mort 8
Pour finir son cruel martyre ; 8
Et s’il n’étoit pas écouté, 8
Il accuseroit vôtre empire 8
50 D’injustice et de cruauté. 8
Il vous nommeroit infidelle, 8
Cœur de rocher, cœur sans pitié, 8
Âme dure et sans amitié, 8
Ingrate, inhumaine et cruelle. 8
55 Il vous mettroit devant les yeux, 8
Les mots les plus injurieux, 8
Les fureurs les plus violentes ; 8
Et peut-être sans y penser. 8
Par ses paroles insolentes 8
60 Sa main pourroit vous offenser. 8
Il est vray qu’il porte dans l’âme 8
Un désir sincère et discret, 8
Un amour céleste et secret, 8
Exempt d’orgueil comme de blâme : 8
65 Il est vray que ce pauvre amant 8
Consomme ses jours constamment 8
Dans une flâme pure et belle ; 8
Mais par un destin rigoureux, 8
Vous la jugeriez criminelle, 8
70 À cause qu’il est malheureux. 8
Il vaut mieux garder le silence, 8
Que voir mon amour condamné ; 8
J’aime mieux être infortuné 8
Par respect que par insolence : 8
75 Je sçay bien que dans les langueurs 8
Que me font souffrir vos rigueurs, 8
Ma plainte seroit légitime, 8
Mais non, je ne me plaindray pas, 8
Et je veux être exempt de crime, 8
80 Plutôt qu’être exempt du trépas. 8
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