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BEN_1/BEN57
Isaac de BENSERADE
Poésies de Benserade
1697
STANCES, SONNETS, ÉPIGRAMMES, ETC.
Soupçons.
STANCES.
L’INGRATE cause de ma flâme, 8
Pour qui j’ay des soins si constans 8
Qu’elle occupe depuis long-temps 8
Tout mon cœur et toute mon âme ; 8
5 Elle que j’aime avec transport, 8
Qui blâme et craint l’amour si fort 8
Qu’elle tremble dès qu’on le nomme, 8
Que fait-elle à l’heure qu’il est ? 8
Possible entre les bras d’un homme, 8
10 Et d’un homme qui luy déplaist. 8
Qu’elle est tranquille en mon absence ! 8
Si dans ce commerce importun 8
Elle ose penser à quelqu’un, 8
Ce n’est pas à moi qu’elle pense, 8
15 Et dans les momens les plus doux 8
Qu’elle passe auprès d’un époux, 8
Dont sa personne est possédée, 8
Loin de luy son cœur à l’écart 8
S’émancipe vers quelque idée 8
20 Où mon amour n’a point de part. 8
Ainsi, rien de bon ne m’arrive ; 8
Tantôt l’intérêt d’un rival, 8
Tantôt le devoir conjugal, 8
De mes espérances me prive. 8
25 Elle a quelque bonté pour moy, 8
Mais la tiédeur que je luy voy 8
Cause mon désespoir extrême. 8
Qu’ay-je à prétendre sur ce point, 8
Estant toute pour ce qu’elle aime, 8
30 Et pour ce qu’elle n’aime point ? 8
N’estoit que je suis plein d’audace, 8
Parce que je suis plein d’ardeur, 8
La place que j’ay dans son cœur 8
Seroit une assez bonne place. 8
35 Mais de m’y voir comme cela 8
Au milieu de ces Messieurs-là, 8
Me semble une dure entreprise ; 8
Le poste est des plus délicas, 8
Entre celuy qu’elle méprise, 8
40 Et celuy dont elle fait cas. 8
Vous, par moy toûjours adorée, 8
Divine et charmante beauté, 8
Hélas ! que je suis emporté, 8
Et que vous estes modérée ! 8
45 L’amour que vous tournez en jeu 8
Me fait pour vous sentir un feu 8
Qu’il n’a point pour les autres âmes. 8
Guérissez-moy de mes soupçons, 8
Et prenez un peu de mes flâmes, 8
50 Ou me donnez de vos glaçons. 8
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