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BEN_1/BEN28
Isaac de BENSERADE
Poésies de Benserade
1697
STANCES, SONNETS, ÉPIGRAMMES, ETC.
Contre un laide
STANCES.
BIEN que nous soyons seuls, vôtre crainte est frivole, 12
Fiez-vous-en à mon respect : 8
Ne tremblez point, cruelle, et que je vous cajole 12
Sans que mon feu vous soit suspect. 8
5 Vous n’êtes pas trop laide, et nature un peu chiche 12
Vous a traitée honnêtement. 8
Mais avec tout cela, si vous n’étiez point riche, 12
Où trouveriez-vous un amant ? 8
Vos yeux au gré des miens ont une foible amorce, 12
10 Et ne versent qu’un jour obscur ; 8
Je pense, toutefois, qu’ils ont beaucoup de force, 12
Mais c’est que je suis un peu dur. 8
Que sçait-on si jamais vous n’allumez de flâmes, 12
Et ne plaisez à d’autres goûts ? 8
15 Cependant, je m’accorde avec toutes les femmes, 12
Et je tiens mon cœur contre vous. 8
Vôtre bouche en riant fait que mon nez rechigne 12
Du noir désordre de vos dents, 8
Sans que je leur impute une vapeur maligne 12
20 Qui vient peut-être du dedans. 8
J’aime sur vôtre front cette guerrière audace 12
Où l’on voit l’amour en courroux : 8
Et ce poil tout brûlé vous sert de bonne grace, 12
Puisqu’il vous sert sans être à vous. 8
25 Parmy vos agrémens, nature désavouë 12
Une si gluante splendeur, 8
Et ce rouge acheté, qui dessus vôtre jouë 12
Fait l’office de la pudeur. 8
Vous n’avez bras, ni mains, teint, ou lèvres vermeilles ; 12
30 De gorge, il ne s’en parle point : 8
On se mocque chez vous de ces riches merveilles 12
Et de jeunesse et d’embonpoint. 8
Aussi tant de beauté n’est pas un avantage 12
Qui serve d’un grand ornement : 8
35 Si vous n’êtes pas belle, au moins êtes-vous sage 12
Ou la serez incessamment. 8
Une belle se damne ; on la presse, on l’enflâme, 12
On fait contre elle cent efforts : 8
Afin de vous sauver, le Ciel a mis vôtre âme 12
40 En sûreté dans vôtre corps. 8
Ce sera pour vos biens, si l’on vous importune ; 12
Et si quelqu’un vous aime un jour, 8
Afin de le blesser, il faut que la Fortune 12
Dérobe des traits à l’Amour. 8
45 Si le cœur vous en dit, et si vôtre âme goûte 12
Les appas d’un si doux péché, 8
Achetez un galand : quelque cher qu’il vous coûte, 12
Vous aurez toûjours bon marché. 8
Vous le verrez tout bas, demandant son salaire, 12
50 Soûpirer d’un ton obligeant ; 8
Quelque chétif qu’il soit, s’il travaille à vous plaire, 12
Il gagnera bien son argent. 8
Qu’il sera malheureux, s’il faut qu’il se propose 12
D’acquérir l’esprit par le corps ! 8
55 L’amour qu’on vous témoigne est une étrange chose. 12
Quand le respect en est dehors. 8
Quelques vœux qu’en secret un amoureux vous offre, 12
Encore qu’il vous presse bien, 8
Prenez garde à la bourse, et fermez vôtre coffre ; 12
60 Aprés cela, ne craignez rien. 8
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