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BEN_1/BEN22
Isaac de BENSERADE
Poésies de Benserade
1697
STANCES, SONNETS, ÉPIGRAMMES, ETC.
Rupture.
STANCES.
PUISQUE vôtre superbe cœur 8
Ne veut plus de tous mes services, 8
Et que ma patiente humeur 8
Se rebute de vos caprices ; 8
5 Que vous êtes lasse de moy, 8
Que je veux reprendre ma foy 8
Et vous reprendre aussi la vôtre ; 8
Débarrassez de tant de nœuds, 8
Disons-nous adieu l’un à l’autre, 8
10 Et là-dessus rompons tous deux. 8
Réglons-nous mieux à l’avenir 8
Sur toutes nos fautes passées, 8
Ou mettons-en le souvenir 8
Au rang des choses effacées ; 8
15 Renvoyez-moy tous mes poulets, 8
Reprenez tous vos bracelets, 8
Vos bijoux et toute autre chose : 8
Ce sont gages qu’amour a faits ; 8
Et si nous supprimons la cause, 8
20 Il faut supprimer les effets. 8
Au reste j’appréhende peu 8
Qu’on m’accuse d’ingratitude : 8
Si vous obligeâtes mon feu, 8
Vous payâtes ma servitude. 8
25 J’eus part à vôtre affection, 8
Par ma sotte soûmission ; 8
Et par un tourment incroyable 8
N’a-t-on pas trop cher acheté 8
Le plaisir le plus délectable 8
30 Quand il coûte une lâcheté ? 8
Ne craignez pas que mon courroux 8
Affecte une fausse victoire, 8
Ni que, pour me venger de vous, 8
Il fasse brèche à vôtre gloire : 8
35 Vous devez en toute façon, 8
Comme vous l’êtes de soupçon, 8
De la crainte être délivrée ; 8
Il faudroit, pour le mauvais tour, 8
Que vôtre amour vous eût livrée 8
40 À la mercy de mon amour. 8
Mais en cela nul ne sçauroit 8
S’armer que d’un faux avantage, 8
Soit qu’il ait été mal-adroit, 8
Soit que vous ayez été sage ; 8
45 Même eussiez-vous, ce qui n’est point, 8
Favorisé du dernier point 8
La passion que j’ay sentie, 8
Je ne sçaurois sans lâcheté 8
Prendre vôtre honneur à partie 8
50 Contre vôtre infidélité. 8
Non, non, quoy que je veuille agir 8
Contre vous et pour vous déplaire, 8
Je ne vous puis faire rougir 8
Que de vôtre humeur trop légère ; 8
55 Aussi n’entreprendray-je pas 8
De ternir icy vos appas 8
Par une plainte mal formée ; 8
Seulement vous veux-je blâmer 8
De souffrir d’être bien-aimée, 8
60 Et ne sçavoir pas bien aimer. 8
Quand le Ciel, par un coup fatal, 8
Nous fit entrevoir l’un et l’autre, 8
Pour nôtre bien, pour nôtre mal, 8
Vous fûtes mienne et je fus vôtre. 8
65 Il est vray que je trouvay doux 8
Mille appas qui brilloient en vous 8
À l’éclat de vôtre présence ; 8
Ils m’ébranlèrent un petit ; 8
Mais vôtre seule complaisance 8
70 Fut le charme qui m’abbatit. 8
D’un accueil vraiment gracieux 8
Vôtre accueil eut les apparences, 8
Et dans la douceur de vos yeux 8
Je vis rire mes espérances. 8
75 Mon cœur fut tout à vôtre gré ; 8
Et quand je vous l’eus consacré 8
Avec la passion extrême 8
Dont il étoit si travaillé, 8
Vous l’alliez demander vous-même, 8
80 Si je ne vous l’eusse baillé. 8
Vous l’eûtes, et je fus ravy 8
De vous en voir la seule reine ; 8
Jamais pauvre cœur asservy 8
N’aima tant ses fers et sa peine : 8
85 Ce vous devoit être un trésor, 8
Que vous posséderiez encor, 8
Et tout entier et sans réserve, 8
Si l’amour vous eust enseigné 8
Cette prudence qui conserve 8
90 Ce que le mérite a gagné. 8
Mais rien n’est étrange en ce point ; 8
Les fruits d’une grande largesse 8
Sont des fruits qui ne croissent point 8
Au champ d’une grande jeunesse : 8
95 Entretenir des feux constans 8
Est une leçon dont le temps 8
Vous doit faire l’apprentissage. 8
Ainsi, qui vous en contera 8
Ne fera rien qu’à l’avantage 8
100 Du dernier qui vous aimera. 8
Le mal est que vôtre beauté, 8
Pour qui maintenant on soûpire, 8
Ne sçaura cette vérité 8
Que sur la fin de son empire ; 8
105 Enfin vous voudrez essayer 8
Pour vôtre profit employer 8
Cette nécessaire science ; 8
Il sera trop tard quelque jour, 8
Et vous aurez de la constance 8
110 Lorsque l’on n’aura plus d’amour. 8
N’allez pas vous imaginer 8
Que ce que vous venez d’entendre 8
Soit afin de vous détourner 8
Du dessein que je vous voy prendre. 8
115 Il me plaît, puisqu’il vous a plû ; 8
Comme vous j’y suis résolu ; 8
Si c’est vôtre honneur, c’est ma gloire ; 8
Et de bon cœur je vous promets, 8
Si vous en perdez la mémoire, 8
120 De ne m’en souvenir jamais. 8
On auroit tort de vous blâmer. 8
Chacun suivant ce qu’il veut suivre ; 8
Sans nous voir et sans nous aimer, 8
Nous n’avons pas laissé de vivre ; 8
125 Et comme il m’importe bien peu, 8
Aprés avoir éteint mon feu, 8
Qu’avec vous tout le monde en rie, 8
Souffrez, dans le temps que je perds, 8
Que j’en fasse une raillerie, 8
130 Aprés en avoir fait des vers. 8
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