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BCH_1/BCH98
Maurice Bouchor
LES POËMES DE L'AMOUR ET DE LA MER
1876
II
LA MORT DE L'AMOUR
XLIV
LA VENGEANCE DES ÉTOILES
C'était du temps que tu venais, 8
En bondissant comme une chèvre 8
Dans l'or éclatant des genêts, 8
T'abattre en riant sur ma lèvre, 8
5 Et que, trouvant tout impuissant 8
A satisfaire nos tendresses, 8
Nous nous mordions jusques au sang 8
Dans nos frénétiques ivresses. 8
Oh ! quelle.moisson de baisers 8
10 Sous vos regards fat moissonnée, 8
Cieux délicatement rosés 8
D'une légère matinée ! 8
Et la nuit, ô nuit folle, nuit 8
Nuptiale, nuit parfumée 8
15 Dont se grisèrent elle et lui, 8
Vous et moi, chère bien-aimée ! 8
La petitesse de son pied 8
A mes yeux était plus charmante 8
Que ce dais royal qu'un millier 8
20 D'étoiles blanches diamante… 8
Qu'importait alors à mes vœux 8
Leur longue chevelure jaune, 8
Si d'une boucle de cheveux 8
Tu me voulais faire l'aumône ? 8
25 Dans les ténèbres de la nuit, 8
Avec leurs torches renversées, 8
Comme des fantômes, sans bruit, 8
Marchent les étoiles glacées. 8
A travers les steppes déserts 8
30 Où l'aquilon terrible vente, 8
Elles dardent leurs grands yeux clairs 8
Qui me pénètrent d'épouvante. 8
Pourquoi me regarder ainsi, 8
Et que vous ai-je fait, ô reines, 8
35 Pour me poursuivre jusqu'ici 8
A travers montagnes et plaines ? 8
La nuit est noire, je suis seul, 8
Et votre œil fixe me regarde… 8
Me tissez-vous donc un linceul 8
40 De votre lumière blafarde ? 8
Dans des robes de noir velours, 8
Figures pâles et flétries, 8
Elles me regardent toujours 8
Comme d'implacables furies. 8
45 « Par cette nuit si douce où quelque horloge d'or 12
Te sonnait l'amour, me crient-elles, 8
Comme un avare étant couché sur ton trésor, 12
Tu dédaignais les immortelles. 8
« Tu leur tournais le dos dans ton orgueil humain, 12
50 Et pourtant, pendant vingt années, 8
Elles avaient guidé tes pas dans le chemin 12
Et veillé sur tes destinées. 8
Oh ! va, par cette nuit l'amoureuse avait beau 12
Être aussi blanche que la lune, 8
55 Chaque étoile tenant un nuptial flambeau, 12
Tordait sa chevelure brune, 8
Sa crinière de pourpre ou ses nattes d'or fin 12
Qui traversaient la nuit profonde 8
Et qui, grisant le cœur comme un précieux vin, 12
60 Versaient des parfums sur le monde. 8
Et là-haut dans la gloire, au milieu des saphirs, 12
Nous étions mille fiancées 8
Vers qui pouvaient monter, sinon tous tes désirs, 12
Au moins une de tes pensées. 8
65 Eh bien, cette nuit-là, puisque tu ne pus voir 12
Notre clarté perçant les branches, 8
La plaine soupirant comme un frais encensoir 12
Et le ciel plein de roses blanches, 8
Que ta lèvre oublieuse alors ne daigna pas 12
70 Laisser tomber une prière, 8
Partout où le hasard doit conduire tes pas 12
Nous voulons que notre lumière, 8
Souvenir et remords, t'aille percer le cœur, 12
Et qu'inutilement tu lèves 8
75 Tes suppliantes mains vers notre éclat moqueur 12
Comme l'éclat glacé des glaives. » 8
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