Métrique en Ligne
BCH_1/BCH95
Maurice Bouchor
LES POËMES DE L'AMOUR ET DE LA MER
1876
II
LA MORT DE L'AMOUR
XLI
De quoi pouvions-nous bien parler, un soir de mai, 12
Un soir mélancolique où pourtant je t'aimai 12
Sous les ténébreuses ramures ? 8
Où la nature entière était pleine de voix, 12
5 Où nos cœurs pénétrés de l'arome des bois 12
S'endormaient.parmi les murmures ? 8
Je ne me souviens pas de ce que nous disions ; 12
Si la fine aile d'or de nos illusions 12
Battait nos fronts brûlants de fièvres, 8
10 Ou si l'amer amour qui nous prit tout entiers, 12
Enivrant et troublant, le long des verts sentiers 12
Pressait mes lèvres sur tes lèvres. 8
Je ne sais pas non plus si nous pensions aux morts, 12
Aux aimés qui sont morts ; — mais je sais bien qu'alors 12
15 Une langueur morne et suprême 8
Enveloppait mon cœur, et que j'ai frissonné 12
Comme si tout à coup j'étais abandonné 12
Des jours passés et de moi-même. 8
Ah ! oui, je me souviens. C'est mon cœur qui sentait 12
20 Dans les brises du soir, dans la calme forêt, 12
Dans l'immensité de la vie, 8
S'en aller, s'en aller par lambeaux palpitants 12
Cet amour qui m'avait absorbé si longtemps, 12
Et dont j'avais l'âme assouvie. 8
25 Je me sentais reprendre impérieusement 12
Par mes premiers amours, par le grand firmament, 12
Par la profonde mer dormante, 8
Par la vieille forêt où, parmi les buissons, 12
La nature repose au doux bruit des chansons, 12
30 Chaude et mystérieuse amante. 8
Je sentais, inquiet de mon humanité, 12
S'effacer notre amour qu'avaient fait enchanté 12
Tant de frais et de jeunes rêves, 8
Et les mots au hasard sur nos bouches volaient, 12
35 Et les souffles du ciel confusément mêlaient 12
Leur musique au bruit sourd des grèves. 8
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