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BCH_1/BCH90
Maurice Bouchor
LES POËMES DE L'AMOUR ET DE LA MER
1876
II
LA MORT DE L'AMOUR
XXXVI
Nous voguions en mer sous les étoiles ; 9
C'était le bon temps que ce temps-là ! 9
Les brises du nord gonflaient les voiles 9
De notre barque de gala. 8
5 Nous ne pensions pas que la jeunesse 9
Traverse la vie en papillon, 9
De nos doigts s'échappe et ne nous laisse 9
Qu'une poussière et qu'un vain nom ! 8
Et pourtant la mer, sous les étoiles, 9
10 Nous prêtait son dos ; et nous allions, 9
Tandis qu'un vent frais gonflait nos voiles 9
En route vers les millions. 8
Vers tous les trésors d'un nouveau monde, 9
Vers la libre vie et vers l'amour ! — 9
15 Pensions-nous rouler sous l'eau profonde, 9
Sans tombe et sans larmes un jour ? 8
Car nul n'a pleuré notre naufrage ; 9
Nos malheurs, qui donc les eût redits ? 9
Les gens attardés sur le rivage 9
20 Nous croient heureux en paradis. 8
D'autres livreront aussi leurs voiles 9
Aux traîtres baisers du vent du soir ; 9
D'autres partiront sous les étoiles 9
Sans même agiter un mouchoir ! 8
25 Car ils croient en eux, folle jeunesse ; 9
Au départ, ils n'ont aucun regret. 9
Ils sont abîmés dans leur tendresse : 9
Pour eux le monde disparaît. 8
Oubliez le monde, il vous oublie ! 9
30 Bon voyage alors, partez tous seuls ; 9
La funèbre mer de deuils remplie ! 9
Vous roulera dans ses linceuls. 8
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