Métrique en Ligne
BCH_1/BCH38
Maurice Bouchor
LES POËMES DE L'AMOUR ET DE LA MER
1876
I
LA FLEUR DES EAUX
XXXVII
Tears, idle tears, I know not what they mean,
Tears from the depths of some divine despair.
(TENNYSON.)
Je regardais la mer où venait se mirer 12
Une lune sereine et divinement belle ; 12
Tout à coup — quel penser m'effleura de son aile ? — 12
Je ne sais pas pourquoi, je me pris à pleurer. 12
5 Était-ce l'air du soir ? et des parfums, des charmes 12
Subtils et pénétrants m'avaient-ils su troubler ? 12
Étais-je trop heureux, et ne pouvant parler 12
Le trop-plein de mon cœur débordait-il en larmes ? 12
Était-ce le silence étrange d'alentour ? 12
10 Était-ce donc qu'au bout de toute joie humaine 12
Nous attend une vague, une secrète peine 12
Qui soudain obscurcit les yeux brillants d'amour 12
Cette mer aux baisers de la lune pâlie 12
Devait-elle emporter mon aimée, et, pleurant, 12
15 Devais-je sur la plage ainsi qu'un spectre errant 12
Tendre les bras vers elle avec mélancolie ? 12
Lisais-je en l'avenir l'histoire de mon cœur, 12
Et (séparation bien plus cruelle encore) 12
Prévoyais-je l 'oubli, l'oubli qui nous dévore ? 12
20 Hélas ! la douce lune eut un regard moqueur. 12
Non, jamais ! tant d'amour ainsi qu'une fumée 12
Ne peut s'évanouir et se perdre dans l'air, 12
J 'en atteste le ciel et la profonde mer, 12
Et le charme infini de la nuit embaumée ! 12
25 Ce n' était pas cela qui me faisait pleurer, 12
Et je pleurais pourtant par cette nuit sereine ; 12
Et dans les flots d'argent qui palpitaient à peine 12
Je regardais toujours la lune se mirer. 12
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