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BCH_1/BCH110
Maurice Bouchor
LES POËMES DE L'AMOUR ET DE LA MER
1876
III
L'AMOUR DIVIN
XII
L'air m ?enveloppe et me caresse ; 8
Noyé dans la douceur du bleu, 8
Mon cœur déborde de tendresse 8
Et je m'abîme dans mon Dieu. 8
5 Bien souvent, couché sur la terre, 8
Je voudrais saisir le mystère 8
De sa vie et de son amour ; 8
Je cherche à pénétrer son rêve, 8
Et j'entends bouillonner la sève 8
10 Sous son vert corset de velours. 8
Femelle aux larges seins, Cybèle, 8
O déesse, parleras-tu ? 8
N'entends-tu pas que je t'appelle, 8
L'âme aux lèvres, tout éperdu ? 8
15 Je ne te ferai point de trêve, 8
O terre, avant que tu soulèves 8
Dans des combats d'amour sanglants 8
Ce voile épais qui te dérobe, 8
Qu'on puisse déchirer ta robe 8
20 Et sentir palpiter tes flancs ! 8
Je t'ai donné toute mon âme, 8
Pourquoi fuir quand je te poursuis ? 8
Nature, es-tu tellement femme 8
Qu'on ne puisse t'aimer deux nuits ? 8
25 Que, les bras brisés de caresses, 8
La tête encor chaude d'ivresses 8
Et t'aimant jusques à mourir, 8
Toi, depuis longtemps assouvie, 8
Tu nous rejettes dans la vie 8
30 Pour recommencer à souffrir ? 8
Malgré tout ta forme m'obsède, 8
O chère et lointaine beauté ; 8
En dépit de ma volonté 8
Je sens que mon faible cœur cède. 8
35 J'en reviens à me souvenir ; 8
Si nos cœurs une fois encore 8
Soupirent : no more — never more, 8
Pourront-ils jamais en finir ? 8
A cette gloire qui m'enivre 8
40 Les yeux obstinément fermés, 8
Dans un profond rêve abîmés 8
Nous ne savions qu'aimer et vivre. 8
En face de la mer, debout, 8
Sans écouter sa voix profonde, 8
45 Égoïstes, tout seuls au monde, 8
Nous nous aimions bien, malgré tout. 8
Ma hautaine mélancolie 8
S'est faite hôtesse des forêts : 8
J'avais cru que je t'oublierais — 8
50 Je ne sais pas comme on oublie. 8
Quand la mer est comme un miroir, 8
J'y vois ton image quand même, 8
Et c'est peut-être toi que j'aime 8
Dans cette volupté du soir. 8
55 Non, c'est un souvenir douloureux, inutile, 12
Le souvenir d'un bien qui ne reviendra pas ; 12
Je ne puis à présent retourner pas à pas 12
Au vallon du passé, joyeux et si fertile. 12
Des bords de l'horizon où tu sembles errer, 12
60 O nuit paisible, monte au ciel crépusculaire ; 12
Car la cime des monts d'une rougeur s'éclaire 12
Et devant le soleil je ne pourrais pleurer. 12
Viens, ô nuit, et déploie en silence tes ailes 12
Sur la mer magnifique et triste qui s'endort : 12
65 Les étoiles du ciel versent des larmes d'or, 12
Et je suis envieux des douleurs éternelles. 12
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