Métrique en Ligne
BCH_1/BCH102
Maurice Bouchor
LES POËMES DE L'AMOUR ET DE LA MER
1876
III
L'AMOUR DIVIN
IV
LA MER AMOUREUSE
Un murmure, un souffle, un rêve 7
M'est parvenu de la grève 7
Où pleurait la grande mer. 7
Était-ce une voix de femme ? 7
5 J'en ai conservé dans l'âme 7
Comme un souvenir amer. 7
Ah ! c'est le vent dans l'étendue ! 8
Amer, et pourtant bien doux ; 7
Je me suis mis à genoux 7
10 Dans les ténèbres profondes 7
De la triste et calme nuit, 7
Où passe et s'évanouit 7
Un frisson d'or sur les ondes. 7
Ah ! c'est la houle qui gémit ! 8
15 Pourtant, la nuit était brune, 7
Bien brune, et sans clair de lune ; 7
Ce mystérieux frisson 7
Venait de la chevelure 7
De l'ange dont la voix pure 7
20 Murmurait une chanson. 7
Ah ! c'est le vent dans l'étendue ! 8
Il existe des Esprits, 7
Bien que tous n'aient pas compris 7
Ces êtres faits de chimères, 7
25 Par les poëtes rêvés ; 7
Et les autres sont privés 7
De nos voluptés amères. 7
Ah ! c'est la houle qui gémit ! 8
Celui-ci, je m'imagine, 7
30 Était d'essence divine, 7
Invisible et souriant ; 7
Je sentais bien sa présence, 7
J'écoutais dans le silence 7
Cette âme de l'océan. 7
35 Ah ! c'est le vent dans l'étendue. 8
On a beau parler toujours 7
Des matelots sans secours 7
Ensevelis sous les vagues ; 7
Moi, je crois à ta douceur, 7
40 Mer ! tes paroles de sœur 7
Sont amoureuses et vagues. 7
Ah ! c'est la houle qui gémit ! 8
Jamais, ô profond abîme, 7
Je n'ai pu croire à ton crime, 7
45 A tes colères d'un jour ; 7
Parce que, la nuit, tu chantes 7
De longues plaintes touchantes 7
Et sembles pâmer d'amour. 7
Ah ! c'est le vent dans l'étendue ! 8
50 Et peut-être tu gémis 7
Que des souffles ennemis 7
T'aient fait le sépulcre immense 7
Où, dans un linceul de flots, 7
D'aventureux matelots 7
55 Ont expié leur démence. 7
Ah ! c'est la houle qui gémit ! 8
Tu te lamentes, et brises 7
Doucement tes lames grises 7
Sur le sable, et tu te plains 7
60 A la sourde destinée 7
D'être à jamais condamnée 7
A rouler des corps humains. 7
Ah ! c'est le vent dans l'étendue ! 8
Mais viens à moi, viens à moi, 7
65 Jusqu'à mes pieds ; car j'ai foi 7
En ta mystique tendresse ; 7
Je sens que je vais t'aimer, 7
Et mon cœur peut te nommer 7
Son éternelle maîtresse. 7
70 Ah ! c'est la houle qui gémit ! 8
Je jette en ton sein splendide 7
Qui monte et baisse, sans ride 7
Et comme un miroir ami, 7
Tant de choses dépensées 7
75 Et tant de vaines pensées 7
Qui jusqu'ici m'ont blêmi. 7
Ah ! c'est le vent dans l'étendue ! 8
Désormais tous mes sanglots 7
Se mêleront à tes flots ; 7
80 J'écouterai ton génie 7
Psalmodier tes ennuis, 7
Et je bercerai mes nuits 7
Avec ta grande harmonie. 7
Ah ! c'est la houle qui gémit ! 8
85 Viens, ô superbe éplorée, 7
Donne-moi la paix sacrée 7
D'un inaltérable amour ; 7
Pour adoucir ton murmure, 7
Je te donne, je le jure, 7
90 Toute ma vie en retour. 7
C'est le vent dans l'étendue, 7
C'est la houle qui gémit, 7
C'est l'amphitrite éperdue 7
Qui sanglote et qui frémit ; 7
95 C'est la mer immense et belle 7
Qui vient mumurant à moi, 7
Qui me flatte et qui m'appelle, 7
Prise d'un étrange émoi ; 7
C'est la voix des flots tranquilles 7
100 Qui s'élève dans la nuit, 7
Et l'on dirait qu'immobiles 7
Ils savent parler sans bruit ; 7
Un je ne sais quoi qui charme, 7
Qui pénètre et qui ravit ; 7
105 La mer n'est plus qu'une larme, 7
Elle aime ! Elle aime ! Elle vit. 7
logo du CRISCO logo de l'université