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corpus Pamela Puntel
Hippolyte BAYE
LA FRONTIÈRE
ESSAIS DE POÉSIES
1871
L'EMBUSCADE
« Richard ! » — «, Mon lieutenant ? » — « Avance 8
Là, vers ces houx, sur le gazon, 8
Rampe, l'arme au poing, en silence. 8
Entends-tu ? Veille à l'horizon. 8
5 Si le Prussien, odieux fantôme, 8
Affronte enfin nos carrefours, 8
Tant mieux ! Ma carabine chôme ; 8
La poudre attend depuis trois jours. 8
Sous ce chêne, fier de son faîte, 8
10 Je foule de joyeux débris. 8
Là, des chasseurs auront en fête 8
Traqué le cerf dans ses abris. 8
Aujourd'hui, tout bras qui s'honore 8
Poursuit un gibier exécré. 8
15 Quel orgueil, quand le bois sonore 8
Redit son cri désespéré ! 8
S'appuyant sur le droit du glaive, 8
Un roi barbare a décrété 8
Que tout vaincu qui se soulève 8
20 Se met hors de l'humanité. 8
Et de notre sang il le signe, 8
Cet arrêt d'un cœur ténébreux ! 8
Honte au lâche qui se résigne 8
A traîner ce joug onéreux ! 8
25 Sur nos murs flétris, — avec rage ; — 8
J'ai vu, vieux soldat africain, 8
Afficher ce royal outrage 8
Dans un pays républicain. 8
Aux tyrans on doit résistance, 8
30 Et c'est le poignard à la main, 8
Au travers de leur existence, 8
Qu'un peuple se fraie un chemin. 8
A notre jeunesse enhardie, 8
J'ai crié : « Qui se sent du cœur ? 8
35 Chassons ces valets d'incendie, 8
Au bras cruel, à l’œil moqueur. 8
Que leurs corps, — pour notre salaire, — 8
Encombrent le monde infernal ! 8
Peuple, déchaîne ta colère : 8
40 Elle vaut seule un arsenal. » 8
On s'est armé. Ces vieilles roches 8
Nous offrent un nid de vautour. 8
Sur le vallon, sur ses approches, 8
Planant, nous fondons tour à tour, 8
45 Si les fils chéris de l'armée 8
Ont compromis notre bonheur, 8
Du moins de la patrie aimée, 8
Nous, les bâtards, sauvons l'honneur. 8
Alerte ! au loin, dans la poussière, 8
50 Un détachement vient à nous. 8
Du bois hérissons la lisière. 8
Chacun à son poste, à genoux ! 8
Déjà plus près brillent leurs armes ; 8
De leurs chevaux j'entends les pas. 8
55 Leurs chants insultent à nos larmes : 8
Qu'ils s'éteignent dans lé trépas ! 8
En tête marche un capitaine… 8
Mon cœur ne peut se contenir… 8
Cette face froide et hautaine 8
60 En moi réveille un souvenir. 8
Eh ! c'est lui !… lui qui, de sa lame, 8
Parce qu'on n'avait plus de pain, 8
Fouetta ma tante, vieille femme !… 8
Bourreau, tu mourras de ma main. 8
65 Venez, balles, et frappez juste ! 8
Viens, mon fusil, fais ton devoir ! 8
Qu'il sente là mort dans soft buste, 8
Bien avant qu'il nous ait pu voir, 8
Son corps aux vers ! à moi la selle ! 8
70 En joue, et visons sûrement… 8
Feu !… la poudre est bonne… Il chancelle, 8
Tombe… J'ai tenu mon serment. 8
Anéantissons cette horde. 8
Francs-tireurs, vengez vos cantons. 8
75 Du plomb, et sans miséricorde ! 8
Pour la justice nous luttons. 8
On creusera sous la feuillée 8
Pour leurs morts un trou fraternel, 8
Et la terre par eux souillée 8
80 Sera leur séjour éternel. » 8
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