Métrique en Ligne
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corpus Pamela Puntel
Hippolyte BAYE
LA FRONTIÈRE
ESSAIS DE POÉSIES
1871
LE BLESSE
ESSAI
Au printemps, quand tombe le givre, 8
Blessé s'en revint un conscrit. 8
La poudre l'avait laissé vivre : 8
Dieu sait pourtant ce qu'il souffrit ! 8
5 Déchiffrant son maigre visage 8
Par un poil inculte ombragé, 8
Les petits enfants du village 8
Dirent : « C'est Pierre ! Oh ! dieux ! qu'il est changé ! » 10
Sur un seuil ceint d'une charmille 8
10 Où la sève prenait l'essor, 8
De son rire une jeune fille 8
Égayait un noir corridor. 8
La voyant, le soldat s'écrie : 8
« Votre amour seul m'a protégé ! » 8
15 Mais, presque honteuse, Marie 8
Balbutiait : « Combien il est changé ! » 10
« Je reviens meurtri par la guerre, — 8
Dit-il ; — mais j'ai gardé l'espoir. 8
Voyez ! cette boucle légère 8
20 Me fut par vous donnée un soir. 8
Votre bouche froide et muette, 8
Quoi ! me laisse découragé ? » 8
Confuse et détournant la tête, 8
Elle répond : « Que vous êtes changé ! » 10
25 « Oui, — dit-il ; — mais sachez la cause. 8
Qui rougirait d'un tel destin ? 8
Ce bras vous payait d'une rose 8
Un frais tribut chaque matin. 8
Un boulet l'eut en sacrifice. 8
30 Du moins mon pays est vengé ! 8
Heureux qui comprend la justice ! » 8
Elle répond : « Que vous êtes changé ! » 10
Il s'éloigne pressant ses larmes. 8
Combien il enviait le sort 8
35 De ceux qui, tombant sous les armes, 8
N'ont d'autre douleur que la mort ! 8
Il marche sans voir, sans entendre, 8
Un poignard dans l'âme plongé. 8
Cruelle est la voix jadis tendre 8
40 Qui vous apprend que vous êtes changé ! 10
Il tombe attristé chez sa mère 8
Qui le serre en ses bras ravis. 8
« Te voir finit ma peine amère. 8
« Tu reviens blessé, mais tu vis ! 8
45 « Mes longs chagrins, je les oublie ; 8
« Mon pauvre cœur bat allégé. 8
« Malgré ta figure pâlie, 8
« C'est toujours toi ! mon fils n'est pas changé ! » 10
Mais Pierre, dardant un œil sombre : 8
50 « Va, tu t'abuses,— poursuit-il. 8
« Parti vivant, je reviens ombre ; 8
« Mon hiver commence en avril. » 8
— « Je devine l'âme frivole 8
« Par qui tu viens d'être jugé. 8
55 « Ah ! loin de croire à sa parole, 8
« Crois seulement que son cœur a changé. » 10
— « Ainsi, je serai pour la terre, 8
Pour tous, un inutile poids. 8
Jamais, à ma voix solitaire, 8
60 Ne répondra, douce, une voix. » 8
— « Crains-tu que, par un peu d'écume, 8
Tout ton bonheur soit submergé ? 8
Toute vie a son amertume. 8
Et ton berceau, méchant, est-il changé ? » 10
65 Comme elle achève ce reproche, 8
Le seuil frémit d'un petit pas. 8
Une ombre svelte entre et s'approche, 8
Pleine d'un pudique embarras. 8
D'un fermier c'est la chaste fille, 8
70 Ange connu de l'affligé. 8
Jamais, suspendant son aiguille, 8
Le malheureux ne vit son cœur changé. 10
D'une pitié douce, attendrie, 8
Le front peint d'un tendre carmin, 8
75 Murmurant le nom de « Patrie, » 8
Au soldat elle tend la main. 8
Pierre, tiré de son lourd rêve, 8
Et du désespoir déchargé, 8
Savoure une voix qui s'élève 8
80 Et qui lui dit : « Vous n'êtes pas changé ! » 10
Cependant, sans parler encore, 8
Ses regards seuls font des aveux. 8
Vers l'avenir qui se colore, 8
Il vole sur l'aile des vœux. 8
85 Noble débris, par la tendresse, 8
Que ton malheur soit corrigé ! 8
Aime, et qu'un son plein de caresse 8
Dise longtemps : « Non ! tu n'es point changé ! » 10
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