Métrique en Ligne
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corpus Pamela Puntel
Hippolyte BAYE
LA FRONTIÈRE
ESSAIS DE POÉSIES
1871
A GAMBETTA
Puisque, tombé, de serviles colères 10
Jettent ton nom aux fanges des ruisseaux ; 10
Puisque, insultant à tes faits consulaires, 10
En vils poignards on change tes faisceaux, 10
5 Grand citoyen, laisse un libre poète 10
A ta disgrâce envoyer ses saluts. 10
Sous ton pouvoir son estime muette 10
Peut s'exprimer si ton pouvoir n'est plus. 10
Pour notre honneur, oui, le ciel te fit naître 10
10 Où, dans la Gaule implantant ses autels, 10
Rome, encor pure et vierge de tout maître, 10
Marqua nos champs de ses pas immortels. 10
Les souvenirs, là-bas, parlent en foule ! 10
L’œil d'un consul impose au monde entier ; 10
15 César s'élève, et la grandeur s'écroule ; 10
Du Capitole un Goth est l'héritier. 10
En réveillant cette poussière humaine, 10
Il te plaisait, néophyte gaulois, 10
D'adorer seul la déité romaine, 10
20 La Liberté, source sainte des lois. 10
Dans l'onde antique ainsi l'âme trempée, 10
Tu vins au Nord ranimer les vertus. 10
Ton premier mot, tranchant comme une épée, 10
Fut pour quelqu'un le poignard de Brutus. 10
25 De quel éclat retentit ta justice ! 10
Paris captif sentit mollir ses fers, 10
Paris qui s'est offert en sacrifice, 10
Divinisant tout, jusqu'à nos revers. 10
Les courtisans, accourus à la fête, 10
30 Déifiaient un homme de hasard, 10
Quand tu marquas, de ton doigt de prophète, 10
Les jours comptés d'en haut à Balthazar. 10
Et ce héros aspirait à la lutte !… 10
Ah ! s'il eût su du moins, par sa grandeur, 10
35 Vif météore, éblouir dans sa chute, 10
Et, dans la nuit, rentrer avec splendeur ! 10
Mais, déserteur de son aire natale, 10
Avec les cours même s'apprivoisant, 10
L'aigle amolli, quand vint l'heure fatale, 10
40 Ne put lancer le tonnerre écrasant. 10
L'orage accourt, gronde, éclate, redouble. 10
Le dieu menteur retombe foudroyé, 10
Ne laissant voir au monde qui se trouble 10
Qu'un reste impur par le vent balayé. 10
45 Alors on vit le vautour germanique, 10
Depuis longtemps de la France affamé, 10
Gonflé d'orgueil et d'un triomphe unique, 10
Fouiller les flancs d'un peuple désarmé. 10
J'entends encor tes mâles cris de rage, 10
50 Quand lé pays se disait tout en pleurs : 10
« Qui vengera cet éternel outrage ? 10
Nos cœurs meurtris ? nos immenses malheurs ? » 10
De notre honneur tu prêchas la croisade, 10
De la patrie en tous semant la foi. 10
55 Tout s'ébranla, ville, hameau, bourgade, 10
Contre un bandit qui s'intitule roi. 10
Cinq mois entiers, d'un court tronçon de glaive, 10
Digne du moins du nom de nos aïeux, 10
La jeune Gaule osa cribler sans trêve 10
60 De coups vengeurs ses bourreaux furieux. 10
Si l'arme échappe à sa main frémissante, 10
C'est qu'ils ont pris pour complice la faim ; 10
Comme un phénix, sa force renaissante 10
Dans l'avenir médite une autre fin. 10
65 Le sang versé veut-il qu'on le déplore ? 10
Non ! chaque goutte effaçait un affront. 10
D'Ophélia l'on vit des fleurs éclore : 10
De nos tombeaux des guerriers renaîtront. 10
Tous ces martyrs, retranchés de ce monde, 10
70 Nous ont laissé leur âme pour soutien. 10
Morts glorieux ! Leur semence est féconde, 10
Comme aux beaux jours du vieux printemps chrétien. 10
Et toi, poursuis d'épandre l'évangile 10
Par un grand siècle en mourant annoncé. 10
75 Les rois, faux dieux, et leur culte fragile 10
Iront se joindre aux cendres du passé. 10
Presse l'heure où, du peuple, chêne sombre, 10
Tout suintant et de pleurs et de maux, 10
La Liberté, soleil naissant de l'ombre, 10
80 Réchauffera les plus obscurs rameaux. 10
Ah ! parle-nous, parle-nous d'espérance, 10
Comme en hiver on rêve aux fleurs de mai ; 10
Et, fils pieux, chéris toujours la France : 10
Celui qui souffre a tant droit d'être aimé ! 10
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