Métrique en Ligne
BAU_1/BAU63
Charles BAUDELAIRE
LES FLEURS DU MAL
1857-1861
SPLEEN ET IDÉAL
LIX
Chant d'automne
I
Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ; 12
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts ! 12
J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres 12
Le bois retentissant sur le pavé des cours. 12
5 Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère, 12
Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé, 12
Et, comme le soleil dans son enfer polaire, 12
Mon cœur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé. 12
J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ; 12
10 L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd. 12
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe 12
Sous les coups du bélier infatigable et lourd. 12
Il me semble, bercé par ce choc monotone, 12
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.… 12
15 Pour qui ? — C’était hier l’été ; voici l’automne ! 12
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ. 12
II
J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre, 12
Douce beauté, mais tout aujourd’hui m’est amer, 12
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre, 12
20 Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer. 12
Et pourtant aimez-moi, tendre cœur ! soyez mère, 12
Même pour un ingrat, même pour un méchant ; 12
Amante ou sœur, soyez la douceur éphémère 12
D’un glorieux automne ou d’un soleil couchant. 12
25 Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide ! 12
Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux, 12
Goûter, en regrettant l’été blanc et torride, 12
De l’arrière-saison le rayon jaune et doux ! 12
logo du CRISCO logo de l'université