Métrique en Ligne
BAU_1/BAU61
Charles BAUDELAIRE
LES FLEURS DU MAL
1857-1861
SPLEEN ET IDÉAL
LVII
L’Irréparable
Pouvons-nous étouffer le vieux, le long Remords, 12
Qui vit, s’agite et se tortille, 8
Et se nourrit de nous comme le ver des morts, 12
Comme du chêne la chenille ? 8
5 Pouvons-nous étouffer l’implacable Remords ? 12
Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane, 12
Noierons-nous ce vieil ennemi, 8
Destructeur et gourmand comme la courtisane, 12
Patient comme la fourmi ? 8
10 Dans quel philtre ? — dans quel vin ? — dans quelle tisane ? 12
Dis-le, belle sorcière, oh ! dis, si tu le sais, 12
À cet esprit comblé d’angoisse 8
Et pareil au mourant qu’écrasent les blessés, 12
Que le sabot du cheval froisse, 8
15 Dis-le, belle sorcière, oh ! dis, si tu le sais, 12
À cet agonisant que le loup déjà flaire 12
Et que surveille le corbeau, 8
À ce soldat brisé ! s’il faut qu’il désespère 12
D’avoir sa croix et son tombeau ; 8
20 Ce pauvre agonisant que déjà le loup flaire ! 12
Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir ? 12
Peut-on déchirer des ténèbres 8
Plus denses que la poix, sans matin et sans soir, 12
Sans astres, sans éclairs funèbres ? 8
25 Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir ? 12
L’Espérance qui brille aux carreaux de l’Auberge 12
Est soufflée, est morte à jamais ! 8
Sans lune et sans rayons, trouver où l’on héberge 12
Les martyrs d’un chemin mauvais ! 8
30 Le Diable a tout éteint aux carreaux de l’Auberge ! 12
Adorable sorcière, aimes-tu les damnés ? 12
Dis, connais-tu l’irrémissible ? 8
Connais-tu le Remords, aux traits empoisonnés, 12
À qui notre cœur sert de cible ? 8
35 Adorable sorcière, aimes-tu les damnés ? 12
L’Irréparable ronge avec sa dent maudite 12
Notre âme, piteux monument, 8
Et souvent il attaque, ainsi que le termite, 12
Par la base le bâtiment. 8
40 L’Irréparable ronge avec sa dent maudite ! 12
— J’ai vu parfois, au fond d’un théâtre banal 12
Qu’enflammait l’orchestre sonore, 8
Une fée allumer dans un ciel infernal 12
Une miraculeuse aurore ; 8
45 J’ai vu parfois au fond d’un théâtre banal 12
Un être, qui n’était que lumière, or et gaze, 12
Terrasser l’énorme Satan ; 8
Mais mon cœur, que jamais ne visite l’extase, 12
Est un théâtre où l’on attend 8
50 Toujours, toujours en vain, l’Être aux ailes de gaze ! 12
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